Sur les traces de Sarah Bernhardt

Le nom de l’artiste est définitivement associé à la Pointe des Poulains, à l’extrémité ouest de Belle-Île. Décédée le 26 mars 1923, elle a séjourné pendant près de 30 ans sur l’île. De ses acquisitions immobilières, de ses séjours, les archives du Morbihan ont conservé les traces. Archives notariales, documentation hypothécaire, rapports et correspondance de l’administration, presse locale, cartes postales, autant de documents qui témoignent de l’importance de l’actrice et qui mesurent combien elle a marqué l’île.

SARAH BERNHARDT, UNE TRAGÉDIENNE À LA RENOMMÉE INTERNATIONALE

Sarah Bernhardt, de son vrai nom Rosine Bernard, est née en octobre 1844 à Paris. À partir des années 1860, elle enchaîne les succès sur les planches. Elle est connue et acclamée dans les théâtres des cinq continents lors de monumentales tournées.

Belle-Île apparaît comme son havre de paix. Ses premiers contacts avec la Bretagne remontent à sa petite enfance, chez une nourrice à Quimperlé. Elle découvre Belle-Île lors d’une excursion en août 1894. Elle est âgée alors 49 ans. Tout la ravit sur l’île, la forte brise de l’océan, les paysages de landes et de bruyère. Dans ses mémoires, elle relate avoir eu un coup de foudre pour la Pointe des Poulains. « Planté sur le rocher dans une déclivité de terrain, un vieux fortin abandonné, noir et triste, enveloppé de l’incessant fracas de mer rugissante. (…) Lavé par la pluie et l’embrun, un écriteau portait ceci : Fort à vendre. » L’actrice est enthousiaste et déclare à ses amis : « j’ai acheté ce fort, nous y viendrons passer l’été chaque année désormais (note) ».

 « C’est tout petit Belle-Isle, mais c’est sauvage et immense, parce que Belle-Isle c’est une des pointes du vieux monde, le poing de l’Europe plongé dans l’océan (…) Voilà pourquoi j’aime Belle-Isle : pour sa solitude, pour son silence, pour sa sauvagerie, pour ses pêcheurs, pour sa mer transparente et glauque, pour son ciel tantôt noir, et tantôt bleu, pour tous les spectacles splendides que la nature y organise, pour tout ce que j’y trouve de rêve, d’idéal et de beauté (note)».
 

UN VASTE DOMAINE 

L’actrice se constitue au fil des années un vaste domaine - 46 hectares - concentré essentiellement sur la partie ouest de l’île, la pointe des Poulains. Elle acquiert également des terres du côté de Bangor. 

Le fortin

Il constitue sa première acquisition. Le corps de garde défensif est construit en 1860 et 1861. Abandonné par l’armée en 1874, il est déclassé en 1889 et vendu à un particulier le 11 septembre 1891. Il est revendu le 11 novembre 1894 à la comédienne Sarah Bernhardt.
 

La batterie, conçue pour recevoir une garnison de 30 hommes, est équipée en sous-sol d’une vaste citerne de 300 litres d’eau douce, permettant une autonomie suffisante en cas de siège. Un étroit fossé entoure le fort et un pont-levis en permet l’accès. À l’intérieur, l’aménagement est des plus sommaire. Deux grandes salles de garde voûtées constituent le rez-de-chaussée où la lumière entre à peine. Un petit escalier très raide conduit à une terrasse protégée par un haut parapet. Le fort dispose d’un terrain de 500 m2. Insuffisant aux yeux de la tragédienne, elle acquiert les terrains environnants.

Les travaux d’aménagement se déroulent durant l’hiver 1895. De larges baies sont percées offrant une vue imprenable sur la mer. Des cloisons sont montées pour donner cinq chambres, une cuisine, un salon et une salle à manger. Une partie de la terrasse est aussi aménagée en quatre autres chambres et une salle de bains. Le terrain d’ajoncs et de bruyère est défriché, des allées sont dessinées, gravillonnées. Des tamaris sont plantés. L’accès à la plage jugé dangereux est sécurisé par la construction d’un escalier.

Les cartes postales issues de la sous-série 42 Fi 1 montrent les aménagements successifs dans la propriété.
 

Manoir de Penhoët, cartes postales, [1905-1925]. Archives départementales du Morbihan, 42 Fi 2

La villa Cinq parties du monde

Pour son fils Maurice, elle fait édifier, en 1897, une maison rectiligne. Cinq pièces sont aménagées le long d’une coursive. Chacune de ces pièces reçoit le nom d’un continent, rappel de ses tournées internationales.
 

Un atelier 

Attenant à la Villa Cinq parties du monde, l’atelier de Clairin est construit, également en 1897. Il avait la forme d’un appentis, avec un long toit en pente.
 

La villa Lysiane

L’actrice fait construire à proximité de la route, une autre villa de style identique aux « Cinq parties du monde », la villa Lysiane (note). Elle y loge son gardien et y dispose de chambres pour ses amis de passage.
 

La villa Simone

En parallèle, elle achète, aux enchères publiques, une petite villa, la villa Hervé, entourée d’un potager pour y loger le jardinier et son épouse. Elle est rebaptisée villa Simone du prénom de l’aînée de ses petites-filles. Elle revendra la demeure à son jardinier en février 1923.
 

La ferme de Calastren

En 1903, elle se porte acquéreur d’une ferme et de pâturages à Calastren à Bangor. L’actrice s’y rend fréquemment à la journée pour y pique-niquer avec ses amis.

Le manoir de Penhoët

En 1898, Sarah Bernhardt partage, à son grand dam, la Pointe des Poulains avec un voisin, le baron Meunier du Houssoye. De l’autre côté de la route, en face de son domaine, sur un terrain vierge, s’élève une grande bâtisse, le manoir de Penhoët, long de 50 mètres et large de 12 mètres. Sa façade de briques rouges horripile la tragédienne.

La mort de ce gênant voisin en 1908 lui permet d’acquérir la propriété de 19 ha l’année suivante. Le manoir comprend quatorze chambres, quatre salles de bains et le chauffage central, l’eau à tous les étages et même l’électricité. À 66 ans, elle se laisse séduire par le confort de l’édifice. Elle fait peindre les murs à la chaux et aménage les jardins.
 

Un rocher

Afin de parfaire son domaine, Sarah Bernhardt charge, en 1912, son gérant Charles Archimbaut d’acquérir un rocher distant d’une trentaine de mètres de son fortin. Long de 50 mètres sur 15 mètres de large, cette acquisition fait l’objet de rapports de l’administration des Phares et balises. Il s’agit pour les autorités publiques de s’assurer que l’usage qu’en fera l’actrice n’ira pas à l’encontre de la sécurité maritime.

Sarah Bernhardt a pour ambition, avec cette acquisition insolite, d’en faire son tombeau.
 

SARAH BERNHARDT AU QUOTIDIEN

L’été sur Belle-Île

Pendant près de 30 ans, Sarah Bernhardt accompagnée de ses proches s’offre une parenthèse estivale à la Pointe des Poulains. Le voyage est long depuis Paris. À Quiberon, elle emprunte un vapeur (note) pour la traversée, notamment ceux de la compagnie L’union belliloise de Transport

En septembre 1897, « elle s’est embarquée au port de Sauzon sur le superbe vapeur Union 2 qui l’a conduite à Quiberon en moins de 30 minutes. (…) Elle a longuement causé avec l’aimable directeur de la compagnie, M. Gallenne, et a promis de lui envoyer une plaque commémorative de son passage sur l’Union 2. Cette plaque sera placée au-dessus du fronton de la glace qui couvre le fonds du salon du navire (note)
 

Très entourée, elle est habituellement accompagnée de ses amis artistes, le peintre Clairin et Louise Abbéma. Maurice, son fils, son épouse et leurs deux petites filles, Simone et Lysiane, sont toujours du voyage. 

De nombreuses personnalités, tels Edmond Rostand, Marcel Proust mais aussi le roi d’Angleterre, rendent visite à l’actrice. Cependant la presse locale reste discrète sur ces visites.

Sarah Bernhardt mène sur l’île un train de vie dispendieux. Elle assure ainsi aux commerçants locaux (blanchisseur, négociant en vins, fleuriste…) des revenus appréciables. Elle se mêle aussi aux Sauzonnais. Sa petite-fille est baptisée en l’église Saint-Nicolas de Sauzon (note)
 

La première guerre mondiale occasionne une rupture de l’actrice avec ses habitudes estivales. Son fort est réquisitionné par l’armée. Elle en demandera la restitution en 1919 dans une lettre conservée aux Archives du Morbihan (note). Ses biens pendant ces années d’absence suscitent la curiosité et la convoitise. Son manoir de Penhoët fait l’objet d’un cambriolage en août 1917. Cette affaire fait grand bruit. Les malfaiteurs seront arrêtés et jugés. Le dossier judiciaire est conservé aux archives départementales du Morbihan (note).

Sarah Bernhardt revient à Sauzon en juillet 1919. Ses arrivées et départs ne sont plus commentés dans la presse locale. Tout juste un entrefilet, en 1921, pour démentir une rumeur.
 

Des touristes curieux

«La présence de Sarah Bernhardt pendant l’été à cette extrémité de l’île, attirait toujours un grand nombre de visiteurs d’où pour la population sauzonnaise un peu de bien-être (note)».

Elle acquiert des hectares supplémentaires aux paysans le long de la pointe pour se promener sans être importunée par les touristes. Pour se protéger, l’actrice barre également l’accès du littoral à l’instar d’autres propriétaires. Le conseil général s’en émeut : « Depuis quelques années, à la suite de ventes de terrains par le Domaine ou par le Génie militaire, certains propriétaires, souvent étrangers au pays (…), ont acquis divers points du littoral, les ont enclos jusqu’au niveau de la haute mer, interdisant ainsi l’accès du rivage. (…) Le conseil départemental prie le ministre des Finances de vouloir de faire déclarer d’utilité publique la bande de terre qui borde le littoral (…), de laisser le libre accès de nos grottes et de nos plages, de faire classer nos sites artistiques au même titre que les monuments historiques, afin de les préserver de l’accaparement (note)».
 

Une générosité sans faille

« Elle sera regrettée, moins peut-être par les personnalités locales qui l’ont quelque peu fréquentée pendant son séjour estival que par les innombrables familles de pêcheurs auxquelles sa plus grande joie était de venir en aide, et cela avec une délicatesse exquise qui doublait la valeur du geste bienfaisant (note)».

En 1903, les parlementaires du Morbihan publient une lettre ouverte au journal Le Figaro alertant sur la grande misère des pêcheurs morbihannais. Sarah Bernhardt accorde la recette de sa générale de la pièce de théâtre Werther qu’elle joue alors dans son théâtre (note). Près de 26 000 francs sont récoltés dont 8 000 sont accordés à Belle-Île (note)

 

Lors de l’hiver 1911, les tempêtes se succèdent et laissent les pêcheurs sans ressources. Abel Craissac, conseiller municipal du Palais, écrit à Sarah Bernhardt pour l’informer de la situation et lui demander de l’aide.
Sitôt informée, elle organise dans son théâtre une matinée de gala au profit de l’œuvre du pain en hiver des pêcheurs de Belle-Ile-en-Mer. Le montant de la recette est reversé intégralement. Son ami, le peintre Clairin, se charge de l’illustration. La générosité de l’actrice permet la construction d’une boulangerie coopérative (note) dans le village de Rozerière, près du Palais. L’été suivant, le 18 août 1912, une grande fête populaire est organisée en son honneur. La presse nationale et locale relaie la ferveur populaire dont elle fait l’objet. 

Sa présence est recherchée. Dans les archives communales de Sauzon déposées aux archives départementales, on retrouve trace d’une correspondance du maire du petit port de pêche adressée à l’actrice la priant d’intercéder en leur faveur pour l’attribution d’un canot de sauvetage et l’invitant aux régates de l’été. Les registres de gestion conservent par ailleurs trace de ses nombreuses contributions aux événements de l’île (régates, comices agricoles…).

 

Son dernier séjour, sa disparition

Elle reste fidèle à Belle-Île jusqu’à l’été 1922. Elle quitte Belle-Île en septembre de cette même année pour ne plus y revenir. 
La presse locale révèle : « son intendant à Belle-Isle avait au cours de l’hiver dernier (note) expédié à Paris tous les bibelots et les objets d’art qu’elle tenait à conserver. La semaine dernière même, il avait vendu tous les bestiaux de la ferme à l’exception d’un cheval et lundi, il quittait les Poulains pour rentrer à Paris. Il apprit la fatale nouvelle en arrivant à Palais.(note) »

À l’annonce de la mort de la tragédienne, la presse locale relaie une rumeur infondée : « L’inhumation aurait, dit-on lieu à Belle-Île en Mer, où le corps serait transporté dans un cercueil de bois rose dont la tragédienne a fait l’acquisition il y a une trentaine d’années. (note) »
La presse relate encore « Les municipalités de Belle-Ile-en-Mer accompagnées par des délégations de pêcheurs, de sardinières, d’ouvriers, de ruraux et de commerçants, se sont rendues jeudi à midi, à l’heure même des obsèques de Mme Sarah Bernhardt, au fortin des poulains, où leur illustre amie les accueillis si souvent et y ont déposé des fleurs de l’île. Des services solennels seront célébrés samedi matin dans les quatre communes de Belle-Île-en-mer pour le repos de l’âme de Mme Sarah Bernhardt. La nouvelle de la mort de la grande actrice a causé à Belle-Île-en-Mer une profonde émotion (note)
 

SON HÉRITAGE

Quelques semaines après son décès, un état descriptif des meubles et objets mobiliers de ses propriétés situées à la Pointe des Poulains est réalisé. En juin 1923, l’étude notariale de Me Bruneau à Belle-Île annonce la mise en vente des propriétés de Sarah Bernhardt.

 

De nos jours, le fortin est le témoin le plus emblématique de ses séjours sur l’île. « Lors de la restauration intervenue dans les années 2000, le choix a été fait de conserver l'aspect du bâtiment dû aux aménagements réalisés pour Sarah Bernhardt, à l'exception de la terrasse qui a été débarrassée des chambres qu'elle y avait fait construire. L'aménagement intérieur actuel est une reconstitution de l'état de 1904. Certains éléments comme le dallage en pierre de l'office - ancienne cuisine du corps de garde - peuvent cependant être regardés comme correspondant à l'état de 1861. Les cloisons en brique sur montant en bois reconstituées à leur emplacement de 1861 sont du même type que celles employées dans les corps de garde crénelés du littoral. (note) »

Propriété du conservatoire du littoral, le fortin a été inscrit (note), le 30 octobre 2000, au titre des Monuments historiques comme édifice de personnes illustres. Depuis 2007, un espace muséographique, géré par la communauté de communes de Belle-Île-en-Mer lui est dédié dans le fortin et la villa des « Cinq parties du Monde ».

Vues du fortin en 2009. Clichés Marc SCHAFFNER - Morbihan Tourisme

Notes de l'auteur

  1. DUPONT-NIVET (Jean), Sarah Bernhardt, 30 ans de passion pour Belle-ile-en-Mer. Archives départementales du Morbihan, HB 2810
  2. Ouest-Républicain, 1er avril 1923
  3. Prénom de sa petite-fille
  4. L’Union I ou II ou III
  5. Le Morbihannais, 22 septembre 1897.
  6. Dans les livres de comptes de l’étude notariale de Belle-Île, on retrouve les frais de délivrance et d’envoi de l’acte de baptême de Lysiane Bernhardt en février 1921, très certainement en lien avec le mariage de celle-ci en mars 1921.
  7. Le document est conservé sous la cote 1 J 124
  8. Le dossier est conservé sous la cote 2 U2 897
  9. Ouest-républicain, 1er avril 1923
  10. Séance du conseil général du Morbihan, 21 août 1901
  11. Liberté morbihannaise, 1er avril 1923
  12. Le Courrier des campagnes, 1er mars 1903
  13. Le Courrier des campagnes, 29 mars 1903
  14. C’était un petit appentis de bois comprenant un fournil et un magasin pour stocker la farine et distribuer le pain. La crise passée, la coopérative fait faillite. Le bâtiment et le matériel sont vendus en 1927.
  15. Hiver 1922-1923
  16. Ouest-républicain, 1er avril 1923
  17. Le Nouvelliste du Morbihan, 28 mars 1923.
  18. La Liberté du Morbihan, 1er avril 1923
  19. Notice de la base Mérimée, ministère de la Culture
  20. Source Data Culture, ministère de la Culture. Imhttps://data.culture.gouv.fr/explore/dataset/liste-des-immeubles-proteges-au-titre-des-monuments-historiques/table/?refine.departement=Morbihan&sort=communemeubles protégés au titre des Monuments Historiques — Ministère de la Culture

Sources utiles

Relevé des actes notariés

Les actes notariés intéressant Sarah Bernhardt sont conservés dans les archives de l’étude XXXVIII du Palais versées aux archives départementales du Morbihan en mai 2018. Le tableau ci-après liste l’ensemble des actes repérés entre 1894 et 1924.

Les recettes et les dépenses

Les dépenses et recettes de l’actrice sont consignées dans les livres de compte du notaire. On peut ainsi avoir un aperçu du train de vie de Sarah Bernhardt. Achats de titres de voyages, de médicaments, de plantes, de champagne - en quantité importante - gages du personnel mais aussi vente des produits de la ferme de Calastrenn.

Consulter le tableau recensant les feuillets concernant les dépenses et recettes de l’actrice.

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