Saint Adrien de Nicomédie

Officier romain, en charge des supplices réservés aux chrétiens à la suite de l’édit de Dioclétien en 303, Adrien se convertit et subit à son tour la torture à Nicomédie (actuellement Izmit en Turquie). Ses bourreaux lui cassent chaque membre sur une enclume puis il est décapité avec une épée. Ce sont ces deux attributs qui permettent de reconnaitre ce saint martyr, revêtu d’une armure propre à rappeler sa fonction de soldat de haut-rang.

Un culte noble et protecteur

La représentation du saint avec un lion résulte de la confusion avec un autre saint Adrien, quasi contemporain, martyr de Césarée et livré aux lions. C’est cette représentation faussée que l’on retrouve dans de nombreux livres d’heures et bréviaires du 15e siècle, reprenant le chapitre CXXX de l’ouvrage La légende dorée, de Jacques de Voragine paru en 1290.

Il est le saint patron des soldats mais il est également invoqué contre les maux de ventre, mais surtout contre la peste comme saint Sébastien et saint Roch, auxquels il est parfois associé. En Bretagne, ce sont près d’une dizaine d’épisodes de « pestilance à boce » qui sont dénombrés dans la seconde moitié du 15e siècle et qui marquent durablement les populations. Le développement de lieux de culte sous ce vocable, placés sur des axes importants dans le nord du Morbihan, est attesté dans la seconde moitié du 15e siècle et jusqu’à la fin du siècle suivant. Il est sans doute à mettre en lien avec cette fonction thaumaturge du saint, alliée à une dévotion spécifique de la noblesse locale. On dénombre ainsi une vingtaine de sculptures représentant ce saint, dont une majorité dans le nord du Morbihan, avec une église et trois chapelles dédiées (Persquen, Langonnet, Le Faouët et Saint-Barthélemy), en lien avec des maladreries ou des hôpitaux, fondés généralement par la noblesse, qui y installent des ordres religieux.

La statue de l'hôpital de Tréleau

C’est le cas à Pontivy pour la chapelle de l’hôpital. Vers 1160, Alain II, vicomte de Rohan et de Castennec, fonde en face de son château de Pontivy, dans le faubourg de Tréleau, un hôpital, sur l’autre rive du Blavet. Il est alors confié à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Ce dernier apparait en 1479 dans le procès qui oppose Jean II de Rohan à la famille de Laval. L’ancien hôpital et son église, situés près de la porte Saint-Julien de la ville, sont détruits à partir de 1714 pour un nouvel ensemble sur les plans d’Olivier Delourme, maître architecte de Vannes qui a conçu les châteaux de Loyat et Kerguéhennec. Les vicomtes, puis les ducs de Rohan demeurent durant tout l’ancien régime les fondateurs et prééminenciers du lieu de culte de cet hôpital. Agrandi au 19e siècle, l’actuel ensemble abrite aujourd’hui dans une des niches extérieures du bâtiment du 18e siècle une statue de saint Adrien. Placée un temps sur la façade des jardins sur Blavet, cette statue a été identifiée d’abord et de manière erronée comme celle d’un zouave pontifical.

La statue de saint Adrien présente deux caractéristiques originales par rapport aux autres pièces morbihannaises, voire bretonnes : elle est en calcaire, alors que la majorité est en bois sculpté et elle ne présente que deux attributs : l’épée (dont il manque la lame) et l’enclume portée de la main gauche. La terrasse, c’est-à-dire le socle de la sculpture, ne semble pas avoir été permise de recevoir l’attribut animal du saint. Les traits fins de saint Adrien sont ceux d’un jeune noble vêtu d’une armure. Monolithe, cette sculpture est de très grande qualité. Elle impressionne par le détail apporté par l’ymagier (appellation médievale des sculpteurs) aux mains, au visage et aux cheveux, mais aussi par sa capacité à évider la matière, pour créer les volumes des vêtements. Les plis de ces derniers sont très soignés, notamment sur le tissu de la cape ou mantel, dont les retours sont retenus par la main gauche. La main qui écarte le tissu du mantel et la jambe droite, en avant et légèrement fléchie, apportent une souplesse maniérée à l’ensemble, à l’instar de certaines réalisations amiénoises.

Une sculpture de la fin du 15e siècle

Très proportionnée, la statue peut être datée assez précisément grâce aux vêtements et à la coiffure.  Tout d’abord, le bonnet à bords relevés et la chevelure mi-longue sont caractéristiques des années 1500 ; on retrouve ces éléments également dans les portraits royaux de Charles VIII ou de Louis XII et de manière plus locale, dans la peinture murale de la Vie de saint Mériadec à l’église de Stivall (Pontivy). L’armure dite de plates est composée de plaques de métal reliées entre elles par des lanières de cuir. Ici, le torse est protégé par une cuirasse, formé d’un plastron au-devant et d’une dossière pour l’arrière. Les hanches et le ventre sont entourés d’une braconnière à laquelle sont attachées par deux courroies des tassettes ou toissettes, petites plaques destinées à la protection des cuisses. Le saint porte également par-dessous un haubergeon et un gorgerin de mailles qui forme un col assez haut. Les brassards avec cubitière garantissent les coups sur les bras, tandis que les jambes sont équipées de cuissards et de grèves pour les mollets, articulés par une genouillère à ailettes. Les solerets sont placés sur les pieds. Ce type soleret à l'extrémité aplatie, dit en pied d'ours ou aussi en gueule de vache, apparaît à la fin du 15e siècle. Cet habillement militaire est caractéristique des années 1480-1500 et illustre la tenue d’un noble en armes.

Une commande de haut-rang

Le matériau exogène à la Bretagne et l’habillement de cette statue nous renvoient à des sculptures très proches, conservées en Normandie et en Picardie. Le culte du saint thaumaturge s’est développé de manière très importante également dans ces régions dans la seconde moitié du 15e siècle, sous l’influence probable de la Flandre et de l’abbaye de Grammont (les reliques du saint et de son épouse Nathalie y sont conservées), berceaux du culte.

La statue de Pontivy, qui provient de l’église primitive de l’hôpital détruite en 1714, est sans doute issue d’une même commande réalisée par le vicomte Jean II de Rohan, vers 1500, à des ateliers picards pour le retable et les statues de la chapelle Notre-Dame de la Houssaye, alors en Noyal-Pontivy. Les dimensions des statues sont très semblables et le tombé du drapé de la statue de saint Mériadec présente des similitudes, tout comme celui d’une statue dite de saint Nicolas, cette fois conservée à la chapelle Sainte-Noyale (Noyal-Pontivy). Au total, sur un rayon de moins de 10 kilomètres, ce ne sont pas moins de huit statues en calcaire qui proviennent sans doute d’un même atelier et ont été commandées par Jean II. L’hôpital de Pontivy était également sous le patronage des vicomtes de Rohan. Cette statue est à la fois le témoin d’une commande artistique de haut-rang, mais aussi le symbole de la protection que le seigneur fournit à la population contre la peste. Cette sculpture, anciennement polychrome, devait être conservée dans l’intérieur de l’ancienne église, et orner un autel de dévotion latéral, avant d’être placée sur une des niches extérieures, perdant ainsi un peu de sa fonction originelle.

Le calcaire pour matériau

Une autre œuvre plus tardive conservée à Plescop est du même matériau que la statue de Pontivy, ainsi qu’une seconde provenant de l’église des Carmes de Nantes, et conservée désormais au musée Dobrée. La description de cette dernière est réalisée dans l’article de Jean-Marie Guillouët, « Les chantiers de la sculpture de Nantes au XVe siècle, transferts et perméabilité » in Bulletin de la société archéologique de Loire-Atlantique, p 61-81, 2006.

En savoir +

Les villes bretonnes au XVe siècle ont subi une conjonction de calamités naturelles, d’épidémies à répétition, de conflits armés et de violences collectives et individuelles. L’article de Jean-Pierre LEGUAY nous en apprend plus. À lire sur le site du Cairn.info

LEGUAY (Jean-Pierre), La peur dans les villes bretonnes au XVe  siècle in Histoire urbaine 2000/2 (n° 2) pages 73 à 93.

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