Coffret à décors de geste

Coffret à décors de Geste (vers 1250)

Ce coffret en bois peint (dimensions 21 x 51 x 24), a fait l’objet de nombreuses études et interprétations depuis sa découverte. Retrouvé en 1874 par le chanoine Chauffier dans une armoire du chapitre de la cathédrale, et classé monument historique le 25 avril 1899, il est depuis l’objet phare du trésor de la cathédrale de Vannes. 
Son origine exacte et son arrivée à la cathédrale ne sont pas documentées, mais ce coffret y est présent dans une grande châsse reliquaire et décrit en 1637 comme une « petite boîte de bois peinte à la chinoise ». Renfermant plusieurs reliques dans divers sachets textiles, cette pièce du XIIIe siècle a été interprétée comme un coffret de mariage, notamment en raison d’une scène présente sur sa face antérieure, représentant un religieux tenant de la main droite celle d’une femme et de l’autre un baluchon.

Comme l’avait supposé dès 1960 Pierre-Marie Auzas, conservateur des monuments historiques, l’origine de cette pièce est sans doute à trouver sur les versants des Pyrénées, de la Catalogne ou de l’Aragon. La mise en œuvre picturale, le traitement des végétaux et la composition des scènes sont à mettre en lien direct avec les récentes découvertes de plafonds peints à Montpellier, Gérone (Catalogne), mais aussi avec celui de la cathédrale de Teruel (Aragon). La végétation, et notamment la forme spécifique des arbres, est très comparable avec des pièces peintes vers 1260, et notamment une série de panneaux dits parédals, conservés au Musée languedocien de Montpellier. Ces panneaux formaient le décor d’une maison noble place Saint-Roch à Montpellier. Lors de sa destruction à la fin du 19e siècle ils furent récupérés par la société d’archéologie de la ville. Que ce soit pour l’œuvre conservée dans le Morbihan ou celle de l’Hérault, les traitements des fonds en œuvre sont très proches, avec l’utilisation d’un rouge vermillon, pigment précieux et très apprécié pour sa couleur vive.

La tour représentée sur ce coffret nous renvoie aux constructions civiles romanes de ces régions catalanes et aragonaises. La tente de campagne de la scène de chasse au faucon pour Vannes est également quasi-identique à celles que l’on retrouve dans les peintures murales du Palais Berenguer d’Aguilar à Barcelone. Ce décor mural, transposé sur toile, évoque la prise de Majorque par le roi Jacques Ier le conquérant en 1229. Cet épisode est également représenté dans un décor des années 1260 trouvé récemment dans une demeure de Montpellier et qui présente également des similitudes avec le coffret de Vannes (NOTE).

On peut également établir d’autres liens avec une autre partie du royaume de Jacques Ier et notamment le plafond en bois polychrome peint de la cathédrale de Teruel, réalisation majeure de l’art mudejar, entre Orient et Occident. Ancienne mosquée, la cathédrale connaît des travaux très importants au cours de la seconde moitié du 13e siècle, avec l'architecte morisque Juzaff. Composé d’une iconographie très riche, ce décor utilise également la technique de peinture à la détrempe. Ici aussi des similitudes existent pour certains éléments, avec notamment les chevaux et assimilés, et certains personnages, dont les troubadours. Ainsi, la représentation d’une licorne affrontant un guerrier est proche de celle du cheval représenté sur l’une des faces du coffret.

Dans les deux représentations du corps de l’animal, celui-ci est couvert de traits ou points blancs, qui soulignent sa robe, ainsi que de traits blancs qui marquent les articulations.

Lire et comprendre le coffret de Vannes

Si on inverse le sens de lecture des scènes du coffret, tel qu’il a été établi par les premiers auteurs, le récit est alors celui de la vie d’Oliba Cabreta, comte catalan de Cerdanya en 965, puis de Besalu en 984. 

Oliba II dit "Cabreta" est le deuxième fils de Miron II le Jeune et d'Ava. Il reçoit le comté de Cerdanya en 965 à la mort de son frère Sunifred II, mort sans descendance, tandis que son jeune frère Miron III prit celui de Besalu. À la mort de ce dernier en 984, il récupère également la tête de ce dernier comté. Ce guerrier belliqueux, dont les épisodes guerriers sont évoqués dans deux scènes du coffret, a eu maille à partir avec tous ses voisins, dont Roger Ier de Carcassonne. Cherchant une rédemption, il vint trouver saint Romuald à l’abbaye de Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées-Orientales) proche de sa demeure. Après cette entrevue salutaire, le comte décide de rentrer dans les ordres et d’aller à l’abbaye de Monte Cassino en Italie, abandonnant ainsi ses quatre fils en 988 et sa femme Ermengarde, fille de Gausbert, comte du Roussillon.  C’est sans doute elle qui est représentée lui tendant son écu depuis le haut d’une tour, avant le départ au combat, mais également dansant face au troubadour, jouant de la viole. 
Au regard de cette gesta aux variantes diverses, il est possible d’identifier sans douter Cabreta quittant son épouse, dans une tenue de bénédictin, son sac à la main dans une scène finale interprétée au départ comme celle d’une union. Les autres scènes sont en lien avec la vie guerrière et de cour du comte et de son épouse, entre chasses, conflits armés, musique et danse. 
On ne connait pas le commanditaire de ce coffret, réalisé sous le règne de Jacques Ier le Conquérant, roi d’Aragon et de Montpellier (1208-1276) et également comte de Cerdanya, comme Oliba Cabreta. Toutefois, au regard de la qualité des matériaux, de leur richesse et des techniques mises en œuvre, il ne peut s’agir que d’une commande de haut-rang, par une famille noble ou de marchands aisés, comme pour les décors des demeures de Montpellier, Barcelone ou Gérone. La dominante, sang et or, des écus figurés sur le coffret semble correspondre à celle des comtes de Cerdanya. 
Une datation au milieu du XIIIe siècle est probable pour cette pièce, qui est sans doute le don d’un riche pèlerin espagnol sur la tombe de saint Vincent Ferrier, saint patron pour les catalans. Des sachets à reliques, contenus dans ce coffret de grande qualité, ont également une origine méditerranéenne, dont une aumônière aux inscriptions coufiques (ancienne forme de calligraphie arabe), caractéristique de l’art mudejar. Ces objets, conservés dans le Morbihan, sont de rares témoins d’un art roman aux influences multiples et croisées.

Bibliographie :

  • Abbé CHAUFFIER, Essai sur un coffret du XIIe siècle in Bulletin de la société polymathique du Morbihan, 1874, Vannes, pp. 95-122.
  • LE MENÉ (J.M), Note sur coffret de la cathédrale de Vannes in Congrès archéologique de France, 1881, pp. 248-252.
  • AUZAS (P.M), Le coffret peint du Trésor de la cathédrale de Vannes in Bulletin de la société nationale des antiquaires, 1960, pp. 65-68.

Note de l'auteur

  1. La conquête de Majorque par Jacques d’Aragon. Iconographie d’un plafond peint montpelliérain du XIIIe siècle, par Jean-Louis Vayssettes sous la dir. d’Hélène Palouzié, collection Duo monuments objets, DRAC Occitanie, 2019.
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