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Les coulisses des voyages officiels

Dans un contexte national et international troublé - la France souffre de difficultés économiques, la guerre civile fait rage en Espagne et Hitler, en Allemagne, apparaît désormais comme l'homme fort de l'Europe – pas moins de cinq membres du gouvernement se déplacent dans le Morbihan à titre officiel ou privé à partir de juin 1937.

La visite d’un ministre ou d'un secrétaire d'État constitue un événement important qui met les services de la préfecture en ébullition. L'administration préfectorale assure une préparation minutieuse en coordination avec les différentes administrations afin d’en assurer le bon déroulement. Tout est parfaitement organisé : cérémonie protocolaire, congrès, banquet, inauguration, visite des administrations, rencontre avec les élus locaux...

La nécessité d'une organisation sans faille

La venue d'un ministre exige une organisation millimétrée. Bien qu'en voyage privé en septembre 1937, Vincent Auriol, garde des Sceaux, inspecte la colonie pénitentiaire de Belle-Île. Pour s'y rendre, un rapport préfectoral précise : « ces messieurs arriveront à Quiberon au train de 7 heures 14 du matin. Ils auront quitté Paris la veille au soir par wagon spécial rattaché au train régulier ; ce wagon sera garé le matin de bonne heure en gare d'Auray pour permettre aux occupants de dormir un peu. » Un croiseur de la Marine, « déjà mouillé à Port-Haliguen où l'embarquement passera donc inaperçu » assurera la traversée avec « probablement une petite réception à bord ». Au retour, deux voitures, prêtées par les Ponts et Chaussées, sont prévues qui emmèneront le ministre et ses invités à Lorient puis à Vannes. Des dispositions sont prises pour que le wagon spécial du ministre soit accroché au train de 23 heures qui rentre à Paris.
Par ailleurs, le préfet accueille à dîner et à dormir les personnalités officielles à la préfecture. Le commissaire de police de Vannes organise alors une surveillance discrète des abords du bâtiment par des agents en civil. Il met en place également un dispositif de surveillance nécessaire au bon déroulement de la visite avec prévision du trajet et disposition des forces de l'ordre dans les rues et au bord des routes.

De l'utilité de la venue d'un ministre

En dehors de l’aspect protocolaire, la venue d’un ministre est perçue par les hommes politiques locaux comme la possibilité de faire avancer certains dossiers. Léo Lagrange, sous-secrétaire d'État aux Sports et aux Loisirs, soucieux de développer les loisirs sportifs et culturel accessibles à tous, vient assister le 1er août au 26e championnat régional des sociétés de Gymnastique de l'Ouest. Alfred Brard, sénateur du Morbihan, saisit le préfet pour avoir le financement nécessaire à l'achèvement des travaux du stade de Gourin et de la plage de Pontivy. Le préfet intervient alors auprès du cabinet du ministre pour obtenir les subsides nécessaires. Les subventions demandées sont accordées : la plage fluviale est ouverte l'année suivante.
Avoir l’oreille du ministre, le préfet en saisit également tous les avantages. Lors de la venue du ministre de l'Intérieur Max Dormoy à Vannes et Lanester en novembre 1937– il assiste à titre privé, à une manifestation de la SFIO qui fête les succès des élections cantonales – le préfet alerte le chef de cabinet du ministre sur l'obstruction d'un fonctionnaire qui bloque la réorganisation des services de la préfecture qu'il souhaite mener.

Du banquet au repas entre notables

Les visites officielles facilitent ainsi la gestion locale des affaires. Elles sont aussi l’occasion de resserrer les liens de l’État avec les élus locaux. Les 3 et 4 juillet, Paul Faure, ministre d'État, assiste à titre privé et en tant que secrétaire général de la SFIO aux assises de la Fédération morbihannaise du parti à Lorient. Un banquet auquel participent plusieurs centaines de personnes est organisé par le parti pour l'occasion. Ces banquets politiques, organisés depuis la Révolution permettent de réaffirmer l'idéal républicain et donnent l'occasion aux orateurs de disserter sur l'actualité politique.
Le garde des Sceaux, Vincent Auriol, est, quant à lui, lors de sa venue dans Le Morbihan, convié par le préfet Piton à un dîner en petit comité. Les notables et les hauts fonctionnaires du département sont invités à un repas qui réunit quinze personnes. Le Cabinet élabore un plan de table, revu et corrigé trois fois avant de recevoir l'approbation du chef du cabinet du préfet. Au menu : consommé royal, turbot sauce normande, tournedos chasseur, poulet en gelée, salade, glace, fruits et desserts !

Les aléas d'une carrière ministérielle

Une visite officielle est ainsi pensée dans sous détails mais ne peut éviter parfois pas les imprévus. Ainsi le séjour de Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d'État de l'Éducation Nationale du gouvernement Léon Blum a été parfaitement organisé par les services préfectoraux. Elle arrive par le train à Vannes le 19 juin au soir et se rend à Lorient le lendemain. Féministe engagée, elle est la première femme à faire partie d'un gouvernement (avec Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie). Au programme de son séjour dans le département sont prévues les visites d'une crèche, d'une école et d'une colonie ainsi que l'inauguration de la place de la République à Lorient. Fervente militante du droit de vote pour les femmes, elle assiste au congrès régional de l'Union française pour le suffrage des femmes. Las, la démission de Léon Blum le 21 juin l'oblige à écourter sa visite et met fin à sa carrière ministérielle.

Atteindre l'opinion publique

Les jours qui suivent le voyage ministériel, la presse locale et régionale se fait l’écho des faits et dires du ministre, du message qu’il a voulu faire passer. Malheureusement, le résultat escompté n'est pas toujours au rendez-vous. La visite du ministre de la Justice à Belle-Île en septembre, censément venu inspecter la maison d'éducation surveillée est moquée par la presse d'opposition qui sous-entend un voyage d’agrément.

Les sources

Les archives du Cabinet de la préfecture (1 M de 1800 à 1940, W après 1940) sont des sources essentielles de la compréhension de l'activité administrative et politique dans le département. Elles conservent notamment l’ensemble des voyages officiels dans le Morbihan. Sont ainsi classés les dossiers relatifs au voyage de la duchesse d’Angoulême en 1823, à celui de Napoléon III en 1858 et aux voyages présidentiels et ministériels de la IIIe à la Ve République. Ils permettent de découvrir les coulisses des voyages officiels. Menus, plans de table, programme officiels, courriers des élus, coupures de presse, tractations, les services de la préfecture consignent consciencieusement  tous les contours du voyage. Les Archives du Morbihan conservent également dans la sous-série 7 Fi quelques reportages photographiques des années 1970 consacrés à ces voyages officiels. La presse locale, numérisée jusqu'en 1944, puis sous format papier, est également une source incontournable de l'actualité politique.

Source consultée

  • 1 M Cerem 23. - Voyages officiels, 1936-1939
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