Belle-Île, un endroit enchanteur au large du Morbihan, un lieu merveilleux pour tout un chacun en quête d’aventure ou de dépaysement. Mais pendant presque 100 ans, l’île a accueilli des mineurs délinquants, « de la mauvaise graine à faire trimer et à mâter ». Ces enfants aux cranés rasés et habillés de la même blouse grise n’ont pas profité de ce lieu magnifique : c’était leur « bagne ». La colonie pénitentiaire agricole et maritime à Belle-Île est créée par décret le 29 mai 1880.
L’État reprend l’exécution des peines des jeunes délinquants
Jusqu’à cette date, dans le Morbihan, les mineurs détenus sont confiés à des congrégations religieuses : les jeunes filles à la congrégation des sœurs Marie-Joseph du Dorat à Sainte-Anne-d’Auray et les jeunes garçons à la congrégation des Pères du Saint-Esprit et de l’immaculé Cœur de Marie à Langonnet.
La loi du 5 août 1850 a fortement incité les initiatives privées en faisant verser par le ministère de l’Intérieur un prix de trousseau et un prix de journée pour chaque mineur délinquant hébergé pour exécuter sa peine. L’État ouvrait ses propres établissements pénitentiaires uniquement en cas d’insuffisance avérée de ces institutions privées appelées colonies.
L’administration pénitentiaire, écartée de la gestion des colonies pour mineurs, accepte mal cet état de fait. Elle reproche l’absence de règles strictes de comptabilité, la mauvaise tenue des registres, et le coût plus élevé du prix de la journée attribué aux établissements privés par rapport aux établissements publics.
L’arrivée des Républicains au pouvoir en 1877 entraîne l’affrontement avec l’Église catholique : « l’éducation correctionnelle est un service public que le législateur et l’Administration ne peuvent abandonner aux élans inégaux, intermittents de la charité ». Soucieux d’éloigner la jeunesse de l’emprise de l’Église catholique, de nombreuses colonies privées sont fermées. En 1889, le rapport de force entre établissements privés et établissements publics s’inverse : 55,83 % des jeunes détenus purgent leur peine dans des colonies publiques.
Dans le Morbihan, la colonie de Langonnet devient, à la fois, un orphelinat et une école professionnelles en 1888. La maison d’éducation correctionnelle de Sainte-Anne-d’Auray, quant à elle, ferme à la suite de mauvais traitements sur une jeune détenue qui occasionnent un procès et scandale médiatique en 1907.
Belle-Île, une prison naturelle
« Belle-Île, par sa situation insulaire en plein océan et cependant à proximité d’un port de guerre, présente une grande sécurité contre les tentatives d’évasion - le climat y est tempéré et salubre ; les communications avec le continent faciles et régulières. Ce sont là des avantages exceptionnels dont la réunion ne se rencontrerait pas ailleurs au même degré. D’autre part, les bâtiments existent ; ils sont suffisants pour recevoir une population au moins double de celle qui y est aujourd’hui détenue [120 prisonniers], et il serait regrettable de les voir rester plus longtemps inoccupés. Quelques aménagements de détail et peu dispendieux suffiraient pour assurer une bonne installation des nouveaux services. On aurait pu craindre de rencontrer un obstacle sérieux dans le sentiment de population belle-îloise. Mais tout au contraire, cette population habituée de longue main à voir circuler les détenus employés à l’extérieur (…) s’est montrée très favorable au projet. », tels sont les arguments exposés dans un rapport de l’administration pénitentiaire, en janvier 1880, en faveur de la création « d’un pénitencier agricole pour des réclusionnaires ».
À Belle-Île, les hommes sont presque tous marins, il manque donc de la main-d’œuvre. Déjà, le préfet, en octobre 1879, explique au ministre de l’intérieur qu’« à plusieurs points de vue, il est désirable que l’effectif de la population détenue soit augmentée dans une notable proportion principalement en hommes jeunes et valides. L’industrie des conserves de poissons et de crustacés emploie pendant toute la campagne d’été un grand nombre de bras. Au point de vue agricole, le canton insulaire de Belle-Île ne peut se procurer que très difficilement du continent les travailleurs qui font défaut à la culture […] depuis plus de 20 ans l’agriculture et l’industrie ont trouvé dans la partie valide de la population détenue le complément nécessaire de bras.»
Finalement, l’État décide d’y fonder une colonie pénitentiaire agricole et maritime pour jeunes détenus soustrayant ainsi les mineurs de l’influence des frères spiritains de Langonnet.
Tour à tour, dépôt d’insurgés politiques en 1848 et 1871 et maison centrale de force et de correction, l’établissement pénitentiaire se désemplit à la suite de différentes mesures de grâce et d’amnistie à la fin des années 1870. Elle est totalement évacuée en 1880.
Aux bâtiments de Haute-Boulogne de l’ancienne prison jouxtant la citadelle s’adjoint le domaine agricole de Bruté qui devient une ferme-école. Deux pavillons construits en 1906 et 1910 agrandissent le domaine qui peut alors recevoir jusqu’à 320 enfants. Par ailleurs, pour assurer le volet maritime, l’administration pénitentiaire dote la colonie d’un navire « le Siréna » dès 1895. La colonie de Belle-Île accueille de jeunes détenus acquittés ayant agi sans discernement mais non remis à leurs parents et des jeunes condamnées à un emprisonnement de six mois à deux ans.
Ainsi est fondée la colonie pénitentiaire de Belle-Île, rendue célèbre en 1934 par l’évasion de 56 colons et par la poursuite des fugitifs. Cet épisode inspire à Jacques Prévert le poème La Chasse à l’enfant qui rend hommage à un détenu noyé pendant sa tentative d’évasion. L’établissement devenu une institution publique d’éducation surveillée (IPES) ferme définitivement ses portes en 1977.
Des sources documentaires riches mais dispersées
Les Archives départementales conservent de nombreux dossiers sur l’administration pénitentiaire dans la série Y et dans la série W pour les documents postérieurs à 1940. Au sein de la série Y, on trouve des documents relatifs au fonctionnement de la colonie et aux adolescents de 1880 à 1900. Cette série fait l’objet actuellement d’un reclassement intégral. Malheureusement, l’incendie des bâtiments administratifs de Bruté en juillet 1959 a détruit les documents de la période 1901 à 1950. Les archives de la préfecture conservées également en série Y et la presse départementale sont alors les seules sources disponibles avec celles des Archives nationales. Cet établissement conserve les archives de l’inspection générale des services administratifs, dont les rapports de tournées sur la colonie pénitentiaire et les mutineries qui s’y sont déroulées (cotes F/1a/4559 et F/1a/4608).
Les archives postérieures aux années 50 sont décrites dans les versements 13 W (Administration et dossiers des élèves ; 1954-1977) et 1747 W (Administration générale, dossiers de personnel et vie scolaire ; 1948-1998).
Par ailleurs, les archives de la cour d’assises du Morbihan renseignent au détour des affaires judiciaires sur la vie de la colonie. À la suite d’un incendie criminel sur l’île, un plan de la colonie est dressé pour les besoins de l’enquête (2 U 2/ 680). Les Archives du Morbihan conservent également le procès relatif à l’assassinat d’un gardien de la colonie en 1908 (2 U 2 /843) et d’autres crimes commis par des colons.
La colonie a fait l’objet de reportages photographiques publiés sous format cartes postales et conservés sous la cote 9 Fi 152. Le reportage Les enfants de Caïn de Louis Roubaud, journaliste au Quotidien de Paris en 1924 est très instructif également.
Enfin, le portail de la bibliothèque numérique de l’Enap (École nationale d’administration pénitentiaire) est un concentré de ressources précieuses sur le sujet. Les collections iconographiques sur les établissements pénitentiaires, les reportages réalisés dans l’entre-deux-guerres, les plans d’établissements pénitentiaires désaffectés ou disparus (19e -20e siècles) ou bien les statistiques pénitentiaires de 1852 à 1946 sont accessibles par ce biais.
Sources exploitées :
- Y 505. - Création de la colonie, 1879-1880.
- BOURNAT (Victor), Rapport présenté à la commission sur les questions suivantes : Doit-on, en principe, préférer pour l'éducation correctionnelle ; le système des colonies privées à celui des colonies publiques ? Doit-on, en conséquence, maintenir sur ce point les dispositions de la loi du 5 août 1850 ? Paris, Imprimerie nationale, 1875, 31 p.
- MOLLIER (Jean-Yves), Belle-Île-en-Mer, prison politique après la Commune (1871-1880), Criminocorpus [En ligne], Justice et détention politique, Bagnes, prisons et quartiers politiques, mis en ligne le 31 janvier 2014, consulté le 3 avril 2020.
- Portail numérique « Enfants en Justice XIXe-XXe siècles », monographie sur l’établissement de Belle-Île, consulté le 3 avril 2020.