Keroman, la cité du poisson depuis 1927

Lorsque la première guerre mondiale éclate en 1914, le développement de la pêche au thon, l’industrialisation des conserveries et la promotion du poisson frais par le chalutage à vapeur ont fait de Lorient le troisième port de pêche français.

Un port à l’étroit

Les infrastructures s’avèrent cependant insuffisantes et inadaptées. Si une criée est construite en 1889 et reliée au chemin de fer en 1906, le port de pêche se trouve en centre-ville, à proximité du bassin à flot du port de commerce, où quelques dizaines de mètres de quais seulement lui sont réservées.
En 1915, confronté aux problèmes de ravitaillement et au manque d’infrastructures modernes, le gouvernement lance, sous l’impulsion de Louis Nail, ancien maire de Lorient et sous-secrétaire d’État à la Marine marchande, un projet de construction d’un grand port de pêche français.
Avec l’appui de ce dernier, une commission spéciale, comprenant des personnalités lorientaises comme Émile Marcesche, secrétaire de la Chambre de commerce et d’industrie, est alors créée afin de proposer une implantation à Lorient. Plusieurs atouts jouent en faveur de la ville : une rade abritée avec un bon tirant d’eau, une population de pêcheurs déjà existante aux alentours, et une position géographique favorable sur le plan maritime.

Un projet d’envergure nationale

Après plusieurs projets présentés sans succès, Henry Verrière, ingénieur des Ponts et Chaussées, est délégué en juin 1918 auprès de la commission pour étudier la construction d’un port de pêche moderne et d’un frigorifique. Son projet, inspiré par les ports de Cuxhaven (Allemagne), Yjmuiden (Pays-Bas) et Grimsby (Grande-Bretagne), prévoit l’aménagement de l’anse de Keroman avec 1 530 mètres de quai, un plan d'eau de 7,90 hectares, ainsi que plusieurs bâtiments et un môle à charbon. Il est adopté définitivement en octobre 1919 après une enquête d’utilité publique. D’un coût prévisionnel de 30 millions de francs, le financement est assuré en grande partie par l’État suite au vote d’une loi le 19 juin 1920 qui débloque 200 millions de francs pour moderniser le secteur des pêches.
Les travaux débutent la même année avec la construction d’un frigorifique, premier du genre sur le territoire français et infrastructure très innovante pour l’époque. Mis en service en 1922, il permet la fabrication de pains de glace qui sont concassés et livrés à bord des bateaux. D’autres infrastructures suivent jusqu’en 1927 : bassins de mouillage, môles et quais, silos à charbons, halles de vente, magasins de mareyeurs, voies ferrées et routes de desserte, installation des réseaux et d’un bureau de poste. Le dernier équipement, le slipway (plan incliné permettant de mettre les bateaux à l’eau) est mis en service en 1932.
Le chantier n’est cependant pas exempt de tensions locales. Critiqué sur le choix du site et objet d’accusations de malversations, Henry Verrière est défendu à la Chambre des députés par Alphonse Rio, élu du Morbihan et sous-secrétaire d’État à la Marine marchande. Ce dernier assure la bonne mise en œuvre du projet depuis la disparition de Louis Nail en 1920.

Keroman, cité du poisson

L'inauguration du port de Keroman a lieu le 17 juillet 1927 en présence de Fernand Bouisson, président de la Chambre des députés, et André Tardieu, ministre des travaux publics. Sa gestion est concédée par l’État pour soixante ans à une société privée, la Société du Port de Pêche de Lorient dont Henry Verrière est le président jusqu’en 1936.
L’organisation et l’innovation des équipements du port de Lorient en font une véritable cité du poisson. Le projet est basé sur la rapidité d’acheminement. Du quai de débarquement, on passe à la halle de vente puis aux magasins des mareyeurs qui ouvrent directement sur la gare de chemin de fer. Les techniques les plus en pointe sont utilisées : des grues sur portique roulant, des chariots électriques, des tapis roulants. Tout est alors pensé pour faciliter la vie des acteurs du port : il assure en un lieu unique la réception en masse, la conservation, le traitement et l’expédition du poisson. Des maisons de mareyage s’y implantent, ainsi que des ateliers de transformation, des conserveries, des entreprises de construction navale et de maintenance.
L’équipement dope l’activité des pêcheurs. Lorient devient ainsi le premier port de pêche industrielle de la façade atlantique. La production débarquée passe de 15 810 tonnes en 1928, à plus de 28 455 tonnes en 1939.
Mais ce bilan positif est nuancé par la crise économique des années 1930 : les charges d’exploitation ont explosé avec le coût du charbon et la consommation du poisson ne suit pas. Les faillites se multiplient chez les armateurs, les mareyeurs s’organisent en syndicat tandis que la hausse des tarifs portuaires par la société gestionnaire précipite la grève.
Si l’activité est relancée dès 1936, la guerre met un terme au développement du port largement détruit par les bombardements avant un nouvel essor durant les « Trente Glorieuses ».

De riches sources documentaires

Les Archives départementales conservent de nombreux dossiers sur le port de pêche de Lorient. Le projet, la construction et l’exploitation sont évoqués largement dans les archives des différents acteurs qui ont participé au développement du port : Ponts et Chaussées (sous-série 4 S, où l’on trouve de nombreuses photographies de la construction, puis série W après 1940), Chambre de commerce et d’Industrie du Morbihan (5 ETP) et Préfecture du département (série M jusqu’en 1940 puis série W). La bibliothèque des Archives possède également une riche littérature sur le sujet complétée par la presse locale conservée aussi aux Archives.

Sources utilisées :

  • 4 S 1026. - Étude du projet de port de pêche de Lorient et déclaration d’utilité publique, 1915-1924.
  • 4 S 1579. - Statistiques sur le fonctionnement du port de pêche de Lorient, 1930-1940.
  • 5 ETP 860. - Inauguration, visites et réceptions au port de pêche de Lorient, 1920-1946.
  • 1 M CEREM 20. - Inauguration du port de pêche de Lorient, 1927.
  • HB 13474. - Busson (Olivier), Le port de pêche de Lorient-Keroman : histoire du premier port de pêche français des origines à nos jours, Paris, 2015.
  • PB 2942. - Le Bouëdec (Gérard), Le Brigand (Dominique), Lorient Keroman : du port de pêche à la cité du poisson, Rennes, 2014.
  • TH 242. - Houze (Franck), Histoire de la chambre de commerce de Lorient 1920-1931 : de la création du port de pêche de Kéroman à l'inauguration du nouvel hôtel consulaire, Rennes, 1985.
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