Si les ordres religieux du début du Moyen Âge s’implantent à l’écart des villes, ils commencent à investir l’espace urbain à partir du 13e siècle, à l’exemple des Cordeliers qui arrivent à Vannes en 1260. Les communautés religieuses connaissant périodiquement des remises en cause et des mouvements de renouvellement, de nouvelles implantations se font à Vannes au fil des siècles. Les Carmes arrivent ainsi au Bondon en 1425 tandis que les Carmélites, après une brève installation entre 1463 et 1480, s’implantent définitivement en 1530 à l’emplacement de l’actuelle place Nazareth. Ces créations prennent une ampleur particulière au 17e siècle. De fait, après l’arrivée des Capucins en 1614, deux communautés viennent s’installer à Vannes en 1627 et modifient sensiblement le quartier du port : l’un accueille des hommes, les Carmes déchaussés, dit aussi Carmes déchaux ; l’autre accueille des femmes, les Ursulines.
Le reflet du rayonnement de la Réforme catholique
L’installation des Carmes déchaussés et des Ursulines à Vannes en 1627 témoigne de l’élan réformateur que connaît l’Eglise catholique depuis le milieu du 16e siècle, connu sous le nom de « Réforme catholique » et symbolisé par le concile de Trente (1545-1563). Face au protestantisme qui conteste en profondeur l’idéal monastique et conduit notamment à la fermeture des monastères en Allemagne du Nord ou dans l’Angleterre d’Henri VIII, la Réforme catholique donne lieu à une revivification des communautés religieuses. Celle-ci s’appuie parfois sur un retour à la stricte observance de la règle mais aussi sur l’apostolat et les œuvres – enseignement, retraites, soin des malades, rééducation des pécheresses par exemple – qui prennent une importance particulière et doivent contribuer à un meilleur encadrement des fidèles. Cet élan réformateur prend forme soit à l’intérieur des ordres existant déjà depuis le Moyen Âge, soit par la création de nouvelles congrégations ou sociétés religieuses. Les Carmes déchaussés de Vannes font ainsi partie d’une nouvelle branche de l’ordre médiéval du Carmel. Issue d’une réforme initiée en Espagne dans la deuxième moitié du 16e siècle par Thérèse d‘Avila et Jean de La Croix, cette branche est établie à Paris depuis 1611. Quant aux Ursulines, elles sont issues d’un institut séculier créé en 1536 à Brescia à l’initiative d’Angèle Merici. Cet institut séculier regroupe à ses débuts des femmes non cloîtrées chargées de visiter les malades et d’instruire les ignorants. Transformé en ordre religieux à la fin du 16e siècle, il regroupe dès lors des femmes cloîtrées se consacrant essentiellement à l’instruction des jeunes filles.
Les Carmes déchaussés de Vannes, fruits d’une initiative personnelle
L’implantation de nouvelles communautés religieuses, qui se heurte parfois à l’hostilité des autres établissements déjà en place ou à celle d’une population qui s’étonne de leur nombre important, se fait souvent grâce au soutien matériel et humain de quelques riches nobles acquis aux idées de la Réforme catholique. Le couvent des Carmes déchaussés de Vannes est ainsi fondé par Jean Morin, seigneur du Bois-de-Tréhant et président du présidial de Vannes, et par sa femme Jeanne Huteau. Les deux époux envoient dans un premier temps chez les Carmes déchaussés de Paris leurs fils aîné Gabriel, qui fait profession en 1621 sous le nom de Chérubin de Sainte-Marie, puis son frère André, qui fait profession en 1623 sous le nom de Vincent-Ferrier de Jésus. Ils sollicitent ensuite l’évêque Sébastien de Rosmadec pour fonder une maison de Carmes déchaussés à Vannes et obtiennent sa permission le 20 décembre 1624 ; le consentement de la communauté de ville suit le 31 juillet 1626. Pour que le nouvel établissement puisse commencer à fonctionner, ils offrent aux religieux leur maison située dans le quartier du port, près de la chapelle Saint-Julien, avec les jardins et la prairie qui la jouxtent. Ils y joignent la propriété de l’île de Lerne, dans le golfe du Morbihan, ainsi qu’une rente annuelle de 500 livres tournois qu’ils hypothèquent sur leur propriété du Trest à Sarzeau. Ces offres ayant été acceptées par les Carmes déchaussés de Paris, six religieux, dont le fils aîné des fondateurs, arrivent à Vannes le 1er juin 1627 et disent la messe dans leur nouvelle maison dès le 3 juin. Les conditions exactes du nouvel établissement sont fixées le 20 décembre 1627 avant la rédaction d’un acte de fondation en bonne et due forme le 8 décembre 1628. Les religieux ont notamment la charge de dire la messe dans leur couvent trois fois par semaine le lundi, le mercredi et le samedi. Jean Morin et Jeanne Huteau, qui souhaitent dédier leur œuvre à saint Vincent Ferrier, ont quant à eux des droits sur la future église (sépulture, chapelle, apposition d’armoiries). Si la fondation n’est confirmée par le roi Louis XIII qu’en juillet 1634, la construction de l’église du nouveau couvent n’en débute pas moins dès mai 1629. La première pierre y est d’ailleurs posée par Henri de Bourbon, prince de Condé, cousin du roi.
Les Ursulines de Vannes, fruits d’une initiative institutionnelle
Si les initiatives de personnalités isolées sont à l’origine de nombreux établissements du début du 17e siècle, les institutions – évêques, congrégations, couvents déjà implantés, etc. – ont aussi un rôle essentiel dans l’essaimage des couvents sur le territoire, supplantant même les initiatives individuelles dans la deuxième moitié du siècle. C’est ainsi la congrégation des Ursulines de Bordeaux qui, après avoir fondé plusieurs couvents en Bretagne à Dinan (1621), Saint-Brieuc (1624) et Tréguier (1625), crée un nouveau couvent d’Ursulines à Vannes. Après que les autorisations de l’évêque Sébastien de Rosmadec et de la communauté de ville sont accordées à Michel Hépaud de Rumelin, chanoine de Tréguier, la supérieure des Ursulines de Tréguier, la mère Louise Guays, est chargée de mettre en place le nouvel établissement. Elle arrive à Vannes le 29 août 1627, accompagnée des cinq soeurs. Elles s’établissent près du port, sur la terre de Kaer, où elles se heurtent dans un premier temps aux marchands, qui ont des craintes pour leur commerce. Au bout de cinq mois, après s’être occupé du logement des sœurs et de l’ouverture de classes pour l’enseignement de jeunes filles, Louise Guays retourne au couvent de Tréguier et est remplacée à la tête du couvent par la mère Jeanne Rolland, dite des Séraphins. Celle-ci reçoit des dons de divers particuliers et effectue de nombreuses acquisitions entre les actuelles rues de l’Unité, du Drézen et la rue Thiers. Elle y établit une chapelle provisoire, en attendant l’édification d’une chapelle définitive entre 1688 et 1690.
D’hier à aujourd’hui
Les installations des Carmes déchaussés et des Ursulines ne sont pas les dernières dans le paysage urbain vannetais du 17e siècle : suivent les installations des Dominicains (1633) mais surtout d’établissements féminins, à l’exemple des religieuses de la Visitation (1638), du Père Éternel (1674), de la Retraite des femmes (1675) et du Petit couvent (1683). Après un déclin quasiment général dans la seconde moitié du 18e siècle, ces établissements ferment leurs portes à la Révolution. Certains reprennent vie aux 19e et 20e siècles, à l’instar des Ursulines actuellement installées dans le quartier de Ménimur. Le centre-ville de Vannes garde quant à lui l’empreinte des anciens couvents du 17e siècle. Celui des Carmes déchaussés, après avoir notamment logé l'évêché et le musée municipal, abrite désormais le Conservatoire de musique à rayonnement départemental de Vannes. Le couvent des Ursulines n’a en revanche conservé que sa chapelle, classée monument historique et récemment restaurée : acquise par les Jésuites au 19e siècle, elle appartient désormais au collège Saint-François-Xavier et abrite une bibliothèque.
Outre cette présence dans le tissu urbain actuel, les Carmes déchaussés et les Ursulines de Vannes continuent à vivre à travers leurs archives, dont une partie existe encore aujourd’hui. Les Archives départementales du Morbihan conservent ainsi plus de deux mètres de documents provenant de ces communautés, pour une période allant de 1450 à 1790. Non classés pour l’instant, ils comprennent notamment des contrats de fondations, des titres de propriété, des livres de comptes, des dossiers de procédure ou encore des registres répertoriant les prises d’habits, les professions et les décès des religieux.
Sources consultées
- 47 H 1-17. - Fonds des Carmes déchaussés de Vannes (1450-1790). Non classé.
- 77 H 1.- Fonds des Ursulines de Vannes (1627-1789). Non classé.
- GUEZEL (Louise), À l'écoute de l'histoire. Les Ursulines de Vannes de 1627 à nos jours du monastère sur le port à Notre-Dame de Ménimur, Vannes, 1981. [HB 3910]
- HASQUENOPH (Sophie), Histoire des ordres et congrégations religieuses en France du Moyen Âge à nos jours, Seyssel, Champ Vallon, 2009. [HB 10850]
- LE MENE (Joseph-Marie), « Les Carmes déchaussés de Vannes », in Bulletin de la société polymathique du Morbihan, 1895. [XIV U 11]
- LE MENE (Joseph-Marie), « Les Ursulines de Vannes », in Bulletin de la société polymathique du Morbihan, 1898. [XIV U 11]
- MINOIS (Georges), Les Religieux en Bretagne sous l'Ancien Régime, Rennes, Ouest-France Université, 1989. [HB 5653]
- POMMEREUSE (Marie de), Les chroniques de l’ordre des Ursulines recueillies pour l’usage des religieuses du même ordre, Paris, Jean Henault, 1673.