La prise de la Bastille, illustration de l’arbitraire royal, le 14 juillet 1789, est aujourd’hui considérée comme le symbole de la Révolution française, dont elle marque le commencement. L'année suivante, une diffusion à grande échelle de maquettes de la forteresse est organisée sur le territoire national. Le Morbihan conserve toujours dans ses collections la maquette de la Bastille qui lui était destinée.
Des mini Bastilles envoyées dans toute la France
Dès le 15 juillet 1789, Pierre-François Palloy, entrepreneur en bâtiment, entame de sa propre initiative les travaux de démolition de la forteresse. Entrepreneur aisé au réseau influent, il obtient le lendemain la confirmation officielle de son rôle de démolisseur.Très rapidement, Pierre François Palloy mesure la symbolique de l’édifice. Novateur, l’entrepreneur met en place un commerce de souvenirs, issus des débris de la Bastille : médailles, jeux de dominos, de cartes, tabatières et maquettes de l’édifice.
Il organise ainsi l’une des premières campagnes modernes de communication. Palloy décide d’envoyer dans tous les chefs-lieux des départements français, nouvellement créés, un modèle réduit de la Bastille en souvenir de la Révolution. Il fait donc réaliser des maquettes de la forteresse, moulées à partir des véritables pierres de la Bastille réduites en poudre et mélangées à du plâtre.
Il crée un groupe « Apôtres de la Liberté́ » appelé aussi Apôtres de Palloy chargés de quadriller la France en diffusant la « bonne parole » de l’entrepreneur(note). Dix d’entre eux sont plus spécialement chargés d’acheminer les maquettes de la bastille sur le territoire français, à l’automne 1790, soit 246 caisses de souvenirs(note). Le 4 novembre 1790, une lettre-type de Palloy annonce l’arrivée de celle destinée au Morbihan le 23 novembre 1790(note). C’est un dénommé Titon Bergeras, originaire du même district que Palloy qui est chargé de la partie ouest de la France : Paris, Orléans, Blois, Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux, Mont-de-Marsan, Pau, Auch, Agen, Saintes, Niort, Fontenay-le-Comte, Angers, Nantes, Vannes, Quimper, Saint-Brieuc, Rennes, Laval, Le Mans(note).
Les relations entre Palloy et son collaborateur, Bergeras se dégradent, le premier reprochant au second de ne pas rendre compte de sa mission et doutant du coup de l’exécution de celle-ci(note). Pour autant, seize mois après la prise de la bastille, le département du Morbihan reçoit plusieurs caisses renferment les vestiges de la prison : un modèle en pierre, une dalle provenant des cachots, etc. Les souvenirs sont placés dans la salle de l’assemblée départementale qui siégeait alors au couvent des Cordeliers(note). Lors de la réception de sa maquette, le Morbihan vote par acclamation les plus vifs remerciements « au patriote zélé qui lui a adressé cette image de la tyrannie et du despotisme ministériels(note)».
Sur le reste du territoire, le succès est au rendez-vous : ses bastilles deviennent des reliques sacrées de la liberté. Elles contribuent à amplifier la résonance de l’évènement.
La maquette

Aujourd’hui, une vingtaine de modèles subsiste dans les départements français sur les 83 qui avaient été créés en 1790(note). La maquette parisienne conservée au musée Carnavalet est la plus complète de toutes. Cette dernière est bien conservée et est encore pourvue de toutes les petites constructions annexes prenant place sur la coursive(note). Elle aide à visualiser tout ce qui est manquant sur les autres modèles.
Ainsi, l’on remarque que sur la maquette conservée aux archives départementales du Morbihan de nombreux éléments d’origine sont en effet manquants, tout particulièrement sur la coursive et dans la cour où se trouvait un ensemble de constructions annexes. Manquent également 44 des 48 grilles métalliques obturant les fenêtres tout comme les deux pont-levis en bois. Les remparts ont intégralement disparu et les mâchicoulis sont en partie brisés.
La maquette conserve cependant quelques détails montrant la minutie de l’œuvre originelle. Ainsi, un morceau de verre a été disposé au fonds du puits pour simuler la présence d’eau. Un crochet est présent sur un mur en hauteur de la petite cour. Une chaîne brisée fixée au-dessus de la petite porte de la chapelle dans la grande cour subsiste(note).
Par ailleurs, la maquette conservée à Vannes conserve traces d’une restauration antérieure non documentée. Outre la casse ou perte de petits éléments, la maquette a également subi l’usure du temps comme l’oxydation des parties métalliques.
Une restauration nécessaire
En 2025, deux restauratrices se sont penchées sur la maquette conservée dans le Morbihan pour une « mise en beauté » tout en respectant son histoire. L’objectif n’était pas de restaurer la Bastille pour lui redonner son état d’origine. Ces manques n’ont volontairement pas été recréés, ils font partie de l’histoire de l’objet. Il s’agissait plutôt d’harmoniser les couleurs en surface et de redonner aux volumes un état satisfaisant pour une meilleure lisibilité. Outre une préservation pérenne de la maquette, l’objectif était de la présenter à nouveau au public dans le hall des Archives départementales.
Tout d’abord, un nettoyage approfondi a tout d’abord été réalisé, par micro-aspiration et gommage puis par l’application d’un gel d’argile destiné à ôter toutes les impuretés incrustées dans la matière.
Des traces d’oxydation apparentes en surface ont été atténuées. Elles proviennent d’anciennes étiquettes portant le nom des tours et fixées à l’aide de petits clous. Les étiquettes ont toutes disparu mais ont laissé des traces. Des retouches colorées ont permis d’atténuer les marques les plus visibles.
La maquette avait été moulée en deux parties réunies avec des agrafes métalliques. Celles-ci devenues en partie visibles se sont oxydées. Il a donc été nécessaire de les traiter afin de stopper la corrosion avant de les isoler sous un mastic.


Les éléments issus d’une ancienne restauration ont ensuite été minutieusement éliminés afin de retrouver les surfaces d’origine. Ces anciens comblements étaient principalement situés au niveau de la base et du sommet des tours. Seuls les plus gros manques ont été partiellement restitués.
Des retouches colorées ont été effectuées par endroits, au niveau des fenêtres, du toit et du sol de la cour, de façon à redonner la lisibilité à l’ensemble.

200 ans après son arrivée dans le Morbihan, la maquette a été classée objet Monument Historique par un arrêté du 14 novembre 1991. Outre le témoignage historique de cette maquette, elle est également un objet de médiation en direction du public scolaire lors de la connaissance de la Révolution française. La bastille est désormais exposée au regard des visiteurs lors de leur venue aux Archives départementales du Morbihan à Vannes.

Notes de l'auteur
- BOCHER (Héloïse), Démolir la Bastille : l’édification d’un lieu de mémoire, Paris, Vendémiaires Éditions, 2012, p.145
- BOCHER (Héloïse), Démolir la Bastille : l’édification d’un lieu de mémoire, Paris, Vendémiaires Éditions, 2012, p.147.
- Lettre-circulaire de Palloy aux départements annonçant la réalisation de maquettes de la Bastille et leur envoi dans chacun des 83 départements, 10 octobre 1790. Archives départementales du Morbihan, L 822. La missive arrive le 4 novembre à Vannes.
- Précisions apportées par Héloïse Bocher dans son ouvrage Démolir la Bastille : l’édification d’un lieu de mémoire, p.154
- Lettre de Palloy du 20 mars 1791, BOCHER (Héloïse), Démolir la Bastille : l’édification d’un lieu de mémoire, Paris, Vendémiaires Éditions, 2012, p.156
- Morbihan bicentenaire, catalogue d’exposition des archives départementales du Morbihan, Vannes, 1989, p. 32
- Morbihan bicentenaire, catalogue d’exposition des archives départementales du Morbihan, Vannes,1989, p. 32
- Une enquête diligentée par le ministère de la Culture en 1965 auprès des Départements de France en dénombre 44 répartis dans toute la France. Un très grand nombre de maquettes est conservé dans les musées départementaux. Seules quatre sont conservées dans des services d’archives départementales (Eure-et-Loir, Gers, Hérault, Lot-et-Garonne). La maquette du Morbihan n’est pas recensée lors de cette enquête. BABELON (Jean-Pierre), « Les maquettes et les pierres de la Bastille. Récolement des souvenirs lapidaires provenant de l’activité du patriote Palloy » in La Gazette des archives, n°51, 1965, pp.217-230
- Rapport d’intervention de la restauratrice, p.19
- Rapport d’intervention de la restauratrice, p.16
- Notice sur la Bastille (œuvre exécutée dans un bloc de pierre provenant de la Bastille) | Musée Carnavalet
Une démolition longue
À Vannes, la prise de la bastille est connue le 20 juillet, par des courriers venus de Nantes et de Rennes. Le 21 juillet, le député J.P. Boullé écrit à ses concitoyens de Pontivy et leur donne le détail des heures agitées de cette journée. Quelques jours après, dans une autre lettre, il relate la démolition de la forteresse : « samedi [18 juillet] (…) nous vîmes cette affreuse prison du despotisme et nous ne pûmes nous refuser à un sentiment de joie en remarquant l’activité des ouvriers qui travaillaient à) la démolir. Mais cet ouvrage durera nécessairement quelques temps vu la solidité des murs (…) »
En effet, la démolition perdure jusqu’au mois de mai 1791. Près de 800 ouvriers travaillent sur le site qui devient alors un pôle d’emploi de premier ordre dans une période où le chômage est important(note).
Trois caisses de souvenirs
L'assemblée départementale ouvre en séance du 24 novembre 1790 les trois caisses envoyées par Palloy. Outre une maquette de la Bastille et le plateau de bois sur lequel elle doit être placée, les membres de l'assemblée inventorient pas moins de 13 lots dont une dalle provenant des cachots portant l'empreinte du roi, un plan de la forteresse et ses accessoires et plusieurs tableaux.
La maquette de la Bastille, à elle seule, pèse 120 kgs pour une hauteur de 43 cm, 101 cm de longueur et une largeur de 55 cm.












