Quand Blavet devient Port-Louis

Par un édit royal du 17 juillet 1618, le roi de France Louis XIII fait ériger la place de Blavet en ville royale qu’il fait nommer en son honneur le Port-Louis. Deux copies de ce document sont conservées au sein du fonds des récollets de Port-Louis ainsi qu’au sein des archives communales de la localité.

L’ambition de la couronne est claire : le lieu, sis à l’embouchure de la rivière du même nom doit constituer un rempart fortifié gardant l’entrée vers la baie de Locmalo et surtout vers la ville et le port d’Hennebont. Dans le même temps, l’objectif est d’en faire un haut lieu de commerce plus efficace que la place d’Hennebont dont la fréquentation baisse à mesure de l’augmentation du tonnage des navires. Il peut paraître pertinent de parler de reconnaissance d’un état de fait plutôt que d’un établissement du site car, bien qu’affaibli en ce début de 17e siècle, Blavet, considéré comme une ville dès le milieu du 16e siècle, est longtemps resté prospère jusqu’à la fin du siècle précédent et les guerres de la Ligue.

Blavet, une occupation ancienne

Situé entre Ploemeur et Gâvres, le site de Blavet s’apparente à une avancée de terre sur la mer, véritable porte d’entrée menant à l’intérieur de la région. Ce lieu, par sa position et sa forme, est rapidement considéré comme un lieu stratégique comme en témoignent les vestiges archéologiques découverts. Ces derniers tendent à montrer une occupation humaine ancienne ainsi qu’une pratique importante de la pêche (à la sardine surtout) et du commerce pendant la période gallo-romaine. Avant la création de la ville de Port-Louis, le site appelé Blavet est constitué de deux villages : Locmalo et Locpéran. Le nom de ce dernier, de Saint-Péran, vient de la présence d’une chapelle romane dédiée à ce saint puis à Saint-Pierre à partir du 12e siècle.

Les invasions normandes des 9e et 10e siècles freinent notablement le développement de Blavet. L’essor du lieu semble toutefois reprendre assez rapidement et se focalise sur le trafic commercial, essentiellement autour de l’exportation des céréales que la région fertile produit en quantité. Un fragment de compte ducal concernant les entrées et sorties du port et havre de Blavet pour l’année 1432 vient appuyer cela et mentionne de nombreux tonneaux de seigle, d’avoine et de froment qui quittent le port. À l’inverse sont débarqués des biens textiles, de la résine, de la poix, du sel, et surtout du vin d’Anjou, du Nantais ou du Charentais.

Parallèlement, le port de Blavet fait office de place militaire et sert régulièrement de base pour la construction de navires et l’entretien de flottes comme l’entreprend le duc Jean II au cours du 13e siècle. Le site devient un point important de la châtellenie ducale de Nostang et voit l’installation de plusieurs chantiers navals aux 14e et 15e siècles. En pleine guerre de succession de Bretagne, c’est du port de Blavet que Bertrand du Guesclin embarque en 1351 pour livrer les enfants de Charles de Blois au roi d’Angleterre. En 1485, François II envisage d’y construire une ville en bonne et due forme. Il charge alors Jean de Châlons, prince d’Orange et Jean, maréchal de Rieux, tous deux lieutenants-généraux du duché, d’une enquête pour examiner les possibilités offertes par le site. Il ressort du procès-verbal établi que Blavet, simple hameau pourvu de rares infrastructures – dont un quai de fortune en pierre – a un grand potentiel. Toutefois ce rapport n’est pas suivi d’effet et la place de Blavet reste en l’état même si l’on peut penser qu’au vu des éléments exposés précédemment, la croissance du lieu s’est sans doute poursuivie, amenant marchands, armateurs et autres commerçants à s’y installer.

Le pouvoir ne semble pas s’être intéressé à ce lieu jusqu’au dernier quart du 16e siècle malgré la présence régulière de plusieurs dizaines voire centaines de bâtiments au mouillage dans le port. Pour autant, Blavet sert très souvent de port de relâche lors de tempêtes par exemple. Un autre élément montre l’importance du site : en 1575, le roi de France Henri III accorde le privilège du papegault aux habitants de Blavet. Il s’agit à l’époque d’un jeu d’adresse à l’arc ou à l’arquebuse. Le vainqueur remporte le droit faire entrer trente-six tonneaux de vin exempts de taxes. Ce procédé, très utilisé dans l’ensemble du royaume dès le 12e siècle, servait alors à entretenir des gardes d’archers ou tireurs (des milices) qui pouvaient protéger les lieux d’éventuels agresseurs. C’est donc par souci de protection des lieux que le souverain accorde ce privilège qu’il désigne comme « l’un des plus beaux et plus frequants havre de nostre dit pays et duché de Bretagne (…) ». Ce droit est reconduit régulièrement jusqu’au 18e siècle.

Blavet dans les guerres de religion

Alors que les guerres de la Ligue éclatent en Bretagne à partir de 1588, s’ouvre pour la future ville de Port-Louis une période mouvementée. Blavet, place stratégique oblige, reste au cœur des ambitions des deux partis en présence : celui du roi Henri IV, roi huguenot, et celui des ligueurs catholiques bretons menés par le gouverneur de la province Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur. Le journal du capitaine ligueur et gouverneur d’Hennebont, Jérôme d’Arradon, seigneur de Quinipily et membre de la puissante famille d’Arradon, s’avère être un précieux écrit pour appréhender la situation de Blavet dans la dernière décennie du 16e siècle. En 1589, alors que les habitants de Blavet promettent à ce jeune et fougueux capitaine de tenir le parti de Mercœur, ils le trahissent et ce dernier se voit contraint de marcher sur Blavet. Le récit de cet épisode montre que Blavet est à cette époque une place relativement fortifiée et bien gardée. Les hommes d’Arradon sont en effet accueillis à « coups de canons et plusieurs harquebuzades ». Blavet devient l’obsession de Jérôme d’Arradon qui n’a de cesse de demander au duc de Mercœur son concours pour reprendre les lieux. Le nombre d’opérations et celui des hommes déployés pour reprendre les lieux - plusieurs centaines - ainsi que les diverses excursions menées par les habitants de Blavet contre les ligueurs démontrent la solidité des infrastructures et un peuplement assez important du site. La petite ville est finalement reprise et mise à sac lors du siège et de l’assaut de 1590.

En tant que soutien important au combat contre Henri IV et ses alliés anglais, le roi d’Espagne Philippe II se voit offrir par le chef ligueur la place de Blavet pour y installer une garnison de soldats. En octobre 1590, le détachement arrive, s’installe et se retranche rapidement. Le site reste sous contrôle espagnol pendant huit longues années. C’est au cours de cette occupation qu’est bâti fuerte del Aguila (le fort de l’Aigle) à l’extrémité de l’isthme par le général Juan d’Aguila et sous la direction de l’ingénieur Cristobal de Rojas, auteur de la citadelle de Cadix. Le système défensif des lieux en est grandement amélioré. C’est également à cette période que sont construites des maisons avec couverture en tuiles qui donnent à la petite cité un caractère méridional, et qui se retrouvent dans les siècles qui suivent. Il faut attendre la fin des guerres de religions et le Traité de Vervins en 1598 pour que Blavet soit remis aux Français en l’état, ceci contre une considérable somme d’argent.

La reprise en main par la couronne de France

Le roi Henri IV donne le commandement de la citadelle de Blavet à un homme de confiance, Louis VI de Rohan, prince de Guémené. Sous l’influence de Richelieu toujours soucieux de la grandeur du royaume et de son souverain, la Couronne décide d’ériger Blavet en ville royale constituée d’un grand port de commerce, d’une citadelle et d’un cœur urbain, le tout enceint de murailles. Il est à noter que dès la fin du siècle précédent, les registres paroissiaux désignaient déjà Blavet comme une ville ce qui tend à prouver son importance préexistante.

Le maréchal de Brissac, gouverneur de la place et nouvelle ville de Port-Louis, poursuit notamment la construction de la citadelle et des fortifications enceignant la ville. Une lettre patente du 9 février 1619 autorise d’ailleurs les Port-Louisiens à lever les fouages, impôts et billots ainsi qu’un sol par pot de vin débité dans la ville pour financer ces travaux. Ceux-ci s’étalent sur une longue période jusqu’en 1653 au moins et, pour favoriser l’installation des habitants et le développement des infrastructures urbaines, le roi accorde toute une série de privilèges : exemptions d’impôts, des droits de mutations immobilières (lods et ventes), droit de constituer une communauté de ville, d’élire un procureur-syndic. Une population plus nombreuse et très hétéroclite s’installe progressivement (marins, artisans, commerçants, officiers royaux, fonctionnaires de la Marine…) et accompagne la naissance d’une bourgeoisie port-louisienne. L’accroissement de la natalité dans les années qui suivent est symptomatique de l’attrait accru de la ville. L’activité commerciale progresse également sur la base des quatre foires et du marché hebdomadaire créés par le roi Henri III en 1575. L’église Notre-Dame de l’Assomption est édifiée à partir de 1657 et le transfert du couvent des récollets de l’île Sainte-Catherine jusqu’à l’intérieur de l’enceinte fortifiée a lieu en 1675.

Son statut de ville royale permet à Port-Louis de rejoindre le rang des autres cités du diocèse (Vannes, Hennebont, Auray…) et favorise un essor considérable tout au long du 17e siècle. Le rayonnement port-louisien culmine avec l’installation du siège de la Compagnie des Indes en 1664.

Sources manuscrites et imprimées

  • Série B. - Fonds de la juridiction royale d’Hennebont (1487-1790) ;
  • 3 E, 4 E 181. - Registres paroissiaux de la paroisse de Port-Louis (1582-1792) ;
  • 3 ES 181/1-25. - Archives communales déposées de Port-Louis [partie ancienne] (1575-1790) ;
  • 6 E 3839-3850. - Hamonic, notaire à Port-Louis (1668-1687) ;
  • 53 H. - Fonds du couvent des récollets de Port-Louis (1447-XVIIIe s.) ;
  • FB 6/1-2. - Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne composée sur les auteurs et les titres originaux, ornée de divers monumens... / par Dom Pierre Hyacinthe Morice, Dom Charles Tallandier, Paris, 1750-1751.

Bibliographie indicative

  • BLAREZ (Abbé), Notes d’histoires sur Port-Louis [HB 665/1-32] ;
  • BUFFET (Henri-François), La Ville et la citadelle du Port-Louis. Guide historique, Rennes impr. Bahon-Rault, 1962 [HB 818] ;
  • BUFFET (Henri-François), La Vie turbulente et dolente d'une vieille cité maritime - Le Port-Louis de Basse-Bretagne, Paris, 1930 [HB 1018] ;
  • BUFFET (Henri-François), Le Vieux Port-Louis. Monographie du Port-Louis de Bretagne, Macon, 1938 [HB 1095] ;
  • BUFFET (Henri-François), Vie et société au Port-Louis des origines à Napoléon, Rennes, 1972 [HB 2688] ;
  • BUFFET (Henri-François), Les Orfèvres du Port-Louis [KB 3494] ;
  • BUFFET (Henri-François), Le Monastère de Sainte-Catherine-Les-Blavet, Lorient, 1890 [KB 4504] ;
  • Chroniques port-louisiennes, revue du centre d’animation historique du pays du Port-Louis, 1991- [EB 880]
  • DANARD (Yvonick), Juan Del Aguila 1545-1602 : constructeur de la citadelle de Blavet (Port-Louis), Vannes, 2009 [RB 4140] ;
  • ÉGASSE (Benjamin), La Citadelle et la ville de Port-Louis, Port-Louis, 2013 [KB 6970] ;
  • FORGET (M.), « Le mouvement du port de Blavet », in Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, tome XXIV, 1944, pp. 47-59 [IB 27] ;
  • JÉGOU (François), Le Port de Blavet (Port-Louis) et Jérôme d'Arradon, seigneur de Quinipily, Vannes, 1865 [KB 2510] ;
  • LA PERVINIÈRE, Mémoire abrégé sur l'histoire du Port-Louis. Le nombre de ses habitants, son commerce et ses manufactures, 1775 [KB 1283] ;
  • LISCH (René) et SALAT (Nicole), La citadelle de Port-Louis [PB 949] ;
  • MEROT (Alain), Le roi, les marchands et la mer : le Port-Louis [KB 4737] ;
  • PERAZZI (Jean-Charles), Port-Louis, une citadelle au riche passé historique [RB 835].
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