Au sortir de la Révolution, lorsque Napoléon Bonaparte accède au pouvoir, Pontivy se présente comme un gros bourg de quelque 3 000 habitants entassés dans des rues étroites et insalubres. Cela étant, aux yeux du Premier consul, cette ville nichée en plein cœur de la Bretagne jouit d’atouts considérables. Autant de qualités qui vont pousser Napoléon à y concevoir puis édifier une ville nouvelle.
La naissance du projet de ville nouvelle
Tout débute en 1802 lorsque Napoléon Bonaparte, fraîchement proclamé consul à vie, prend la décision d’initier un programme visant à établir une cité nouvelle à Pontivy. Son objectif est clair : il s’agit d’en faire « dans la paix, le centre d’un grand commerce, et dans la guerre, un centre militaire important » (discours prononcé au Conseil d’État).
Aux yeux du consul, Pontivy présente de nombreux atouts qui président à cette décision.
Sa situation géographique, d’abord, qui est tout à fait remarquable : la ville, positionnée en plein cœur de la Bretagne, est placée au centre d’un réseau de routes qui la relient aux principales villes bretonnes et constitue un point stratégique pour le percement d’un canal d’un bout à l’autre de la Bretagne.
Sa fidélité sans faille à la Révolution et à la République, ensuite, qui est fortement appréciée : tout au long de la période révolutionnaire, les Pontivyens ont très largement soutenu les idées nouvelles et la République naissante dans une Bretagne majoritairement royaliste et cléricale. La ville, érigée par ailleurs en siège de district en 1790 puis en sous-préfecture en l’an VIII (1800), fait alors figure d’îlot républicain au milieu d’une contrée majoritairement acquise à la cause des chouans. Par la même occasion, Pontivy apparaît comme le lieu idéal pour asseoir la nouvelle autorité républicaine, la région étant le principal foyer de révolte du pays à éteindre avec la Vendée.
Mû par le désir de faire de Pontivy une vitrine de la République, Napoléon est à l’initiative de deux arrêtés consulaires en date du 30 fructidor an X (17 septembre 1802) qui annoncent les transformations à venir. Les projets du consul sont très ambitieux puisqu’il s’agit de construire au sud de la vieille ville de nouveaux bâtiments civils (une mairie/sous-préfecture, un tribunal de première instance, des prisons, un hôpital pouvant contenir 300 lits, une école secondaire) et militaires (une caserne capable d’accueillir une demi-brigade) mais également de procéder à la canalisation du Blavet et à son raccordement à un canal allant de Nantes à Brest.
Aussi s’agit-il de faire de Pontivy une capitale administrative en Bretagne centrale, une ville moderne mais aussi, et surtout, le plus grand centre militaire breton : la construction d’une ville-garnison reliée à Lorient, Brest et Nantes doit notamment permettre de contrecarrer les menaces anglaises de blocus des principaux ports bretons mais également d’apaiser une région alors très agitée.
Un mois auparavant, dans une lettre adressée à son ministre de l’Intérieur Jean-Antoine Chaptel, Napoléon évoquait déjà les moyens d’encourager les différentes branches d’industrie et d’accroître la population.
Le 28 vendémiaire an XI (20 octobre 1802), le pouvoir nomme Jean-Baptiste Pichot de La Mabillais, ingénieur des Ponts et Chaussées, comme maître d’œuvre de ce grand projet. Mais face au manque d’enthousiasme de l’administration pontivyenne, ce dernier est finalement remplacé par Gilbert de Chabrol, jeune sous-préfet de Pontivy, dont le projet de ville nouvelle est immédiatement approuvé par l’Empereur.
L’année suivante, le 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803), le gouvernement républicain prend un nouvel arrêté portant établissement d’un lycée à Pontivy, lequel doit pouvoir accueillir à terme 150 élèves provenant à la fois du Morbihan et du département voisin du Finistère. Dès lors, Pontivy peut se targuer d’entrer dans le cercle très fermé des villes bretonnes à détenir un lycée – Rennes et Nantes étant les deux autres.
Très vite, il est décidé que le lycée serait construit dans l’enceinte de l’ancien couvent des ursulines. Des travaux d’aménagement sont entrepris dès l’année suivante.
Quand Pontivy devient Napoléonville
En 1804, une nouvelle étape est franchie dans le grand projet de ville nouvelle voulue par Napoléon. En effet, cette année-là, celui qui se fait désormais appeler Napoléon Ier depuis qu’il est devenu empereur le 28 floréal an XII (18 mai 1804) reçoit une demande un peu particulière de la part des habitants de Pontivy : les Pontivyens, honorés du traitement réservé à leur ville et désireux d’honorer l’Empereur, prient ce dernier de rebaptiser leur cité « Napoléonville ». Cette demande est aussitôt acceptée, ce que confirme une lettre adressée par le ministre de l’Intérieur, Jean-Baptiste Nompère de Champagny, au préfet du Morbihan, Joseph-Louis-Victor Jullien, le 5 vendémiaire an XIII (27 septembre 1804) :
« L’Empereur a accueilli, Monsieur, la demande que les fonctionnaires publics et les habitant [sic] de Pontivy ont présentée à Sa Majesté pour obtenir que cette ville fut autorisée à porter le nom de Napoléonville. »
Cette décision débouche le 17 vendémiaire an XIII (9 octobre 1804) sur un arrêté préfectoral qui, dans son premier article, indique la date du changement de nom :
« La ville de Pontivy [...] portera, à compter du 18 brumaire prochain [9 novembre 1804], jour de couronnement de Sa Majesté l’Empereur, le nom de Napoléonville. »
Le couronnement étant finalement reporté, le changement n’intervient pas avant le 11 frimaire suivant (2 décembre 1804), date effective du sacre de Napoléon à Paris.
L’arrêté est approuvé un mois plus tard, le 11 brumaire (2 novembre), par le ministre de l’Intérieur dans une lettre adressée au préfet du Morbihan :
« J’approuve, Monsieur, l’arrêté que vous avez pris le 17 vendémiaire pour l’exécution de la décision de Sa Majesté portant changement du nom de la ville de Pontivy en celui de Napoléonville. »
Mais le préfet du Morbihan n’a pas attendu cette approbation pour diffuser l’information et ainsi faire connaître et reconnaître le changement de nom de la ville. Aussi le 1er brumaire (23 octobre), Godefroy Redon de Belleville, préfet du département de la Loire-Atlantique, adresse-t-il une lettre à son homologue du Morbihan pour lui apprendre qu’il a fait insérer l’arrêté dans les journaux et feuilles périodiques pour lui donner « la plus grande publicité ».
Une ville édifiée sur un demi-siècle
En 1805, le projet de ville nouvelle commence à prendre forme. Le 9 pluviôse an XIII (29 janvier 1805), un décret fixe ses nouvelles limites en agrandissant de manière significative la superficie de la commune. Sont ainsi réunies à Napoléonville la totalité de la commune de Stival, qui est supprimée purement et simplement, ainsi qu’une partie du territoire des communes de Noyal et de Neulliac.
Ce décret est pris en conséquence d’un arrêté du 10 brumaire an XIII (1er novembre 1804) par lequel le préfet du Morbihan demandait une extension des limites de la commune de Napoléonville pour la construction des nouveaux établissements publics de la ville.
Il faut néanmoins attendre 1806 avant que les travaux ne débutent véritablement. L’année suivante, le 12 août 1807, la première pierre de Napoléonville est enfin posée, ceci « en présence de tous les fonctionnaires civils et militaires au milieu des applaudissements du peuple ». Au cœur de la ville est construite une place d’armes, surnommée « La Plaine » par les Pontivyens, dévolue aux parades militaires. Aujourd’hui connue sous le nom de place Aristide-Briand, elle est appelée à devenir le point de rencontre entre les différents lieux de pouvoir de la cité nouvelle : le tribunal, l’hôtel de ville/sous-préfecture et la caserne de cavalerie (aujourd’hui une gendarmerie) qui doit pouvoir accueillir jusqu’à 800 hommes et 860 chevaux.
Le plan de la ville tel qu’il a été voulu par l’Empereur, c’est-à-dire en damier, est d’inspiration gréco-romaine, avec des rues rectilignes et deux espaces qui se confondent, l’un civil et l’autre militaire, et qui sont appelés à accueillir des édifices d’architecture néo-classique.
Si les travaux débutent en 1806, il faut néanmoins attendre encore quelques années pour que ceux-ci aboutissent, à l’exception toutefois du lycée impérial qui ouvre ses portes dès 1806. En 1813, la caserne est le premier bâtiment – de construction nouvelle – à être inauguré, suivi la même année d’une prison à l’arrière du tribunal (détruite en 1960, elle accueille aujourd’hui un bureau de poste). En parallèle, de grandes demeures bourgeoises se construisent.
En 1815, la chute de l’Empire met un terme aux travaux, les chantiers des autres bâtiments étant abandonnés en l’état. Plusieurs décennies seront nécessaires avant qu’ils n’aboutissent, telle la construction d’un édifice faisant cohabiter en son sein l’hôtel de ville et la sous-préfecture qui est finalisée en deux temps : d’abord la partie hôtel de ville en 1834, puis la partie sous-préfecture en 1839. En 1837, un pont de pierre est construit pour remplacer celui en bois qui enjambait jusqu’alors le Blavet, celui-là même dont la canalisation a été achevée douze ans auparavant, en 1825. En 1846, c’est un tribunal qui sort de terre.
Sous le Second Empire, Napoléon III reprend à son compte certains chantiers : c’est le cas du canal de Nantes à Brest, dont les travaux avaient débuté dès 1806, qui est ouvert à la navigation en 1842 puis inauguré en grande pompe en 1858 par l’Empereur lui-même ; c’est également le cas de l’église Saint-Joseph, dont la construction avait déjà été envisagée sous Napoléon Ier et qui est finalement relancée à la suite du voyage de l’Empereur en Bretagne en 1858 avant d’être achevée en 1867.
Napoléonville, un nom qui ne résiste pas à la chute des régimes impériaux
Le nom de Napoléonville ne survit pas à la chute du Premier Empire en 1814. Dès le 14 avril et le retour de la monarchie, la ville reprend le nom de Pontivy. Le 1er mai, la municipalité demande même à Louis XVIII de rebaptiser la ville « Bourbonville », en vain. Le nom de Napoléonville fait son retour de manière éphémère entre mars et juin 1815, lors des Cent-Jours, puis sur près de deux décennies entre 1852 et 1870, sous le Second Empire de Napoléon III. Le 11 octobre 1870, il en est définitivement terminé de Napoléonville : à cette date, la cité reprend le nom de Pontivy et ne le perdra plus.
Aujourd’hui, si la cité morbihannaise porte fièrement le nom de Pontivy, elle reste profondément marquée par la figure de Napoléon au travers de ses noms d’artères. Chemin faisant, on peut en effet emprunter l’avenue Napoléon Ier, le quai d’Arcole ou encore bifurquer par les rues Austerlitz, Friedland, Iéna et Joséphine. Autant de marqueurs à la mémoire de celui qui a très largement dessiné le paysage architectural de celle que l’on appelait jadis Napoléonville.
Sources consultées
Archives départementales du Morbihan
1 M CIRC 34. – Dossier communal concernant Pontivy (an XII-1868).
M 2213. – Sous-préfecture de Pontivy, divisions administratives (an XII-1875).
1 Fi. – Cartes et plans concernant Pontivy.
EB 583 (1997). – Floquet (Charles), « Napoléonville. Pontivy marquée du sceau impérial », in Ar Men : la Bretagne, un monde à découvrir, n° 89, 1997, p. 30-37.
IB 27 (2010). – Éveillard-Kervarrec (Cassandre), « Pontivy-Napoléonville, projet d’une ville sous le Premier Empire (1802-1808) : les mécanismes de la planification urbaine », in Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, tome LXXXVIII, 2010, p. 127-152.
Archives municipales de Pontivy
3 D. – Fondation de Napoléonville, création de la ville nouvelle.