L’idée de voyage est représentative du courant romantique du milieu du 19e siècle, alors même qu’il demeure réservé aux plus riches. Un voyage qui se teinte souvent d’un exotisme lointain, oriental. C’est d’ailleurs pour des raisons similaires que Maxime Du Camp justifie le choix de la Bretagne comme destination. Celle d’une terre éloignée qui semble hors de la civilisation où les mœurs et les langages sont différents.
Le voyage comme régénération
En 1845, à 24 ans, Gustave Flaubert semble à la croisée des chemins. Une crise d’épilepsie, survenue quelques temps plus tôt, l’a conduit à abandonner des études de droits qu’il a toujours détestées, pour se consacrer enfin à l’écriture. Or la même année, il perd successivement son père, chirurgien-chef réputé de l’hôtel-Dieu de Rouen, et sa jeune sœur Caroline. Sa détresse est profonde : « quel dégel continu que la vie, joies, parents, amis tout meurt par file : bonsoir, au revoir, oui et on ne se revoit plus ». C’est alors qu’intervient Maxime du Camp, son ami, le condisciple de ses excursions normandes. Il lui propose de partir en voyage. Tous deux tombent d’accord sur la destination : la Bretagne.
Pour Flaubert, ce voyage est avant tout une « fantaisie vagabonde ». Néanmoins, les deux hommes ne s’engagent pas à la légère dans ce périple. Ils se préparent physiquement et intellectuellement en se documentant. À celui qui écrit « Étudie bien la guerre de succession entre Jean de Montfort et Charles de Blois », l’autre lui répond « Soigne tes menhirs et tes cromlechs ».
À la découverte d’un territoire au charme singulier
Leur périple breton va s’étendre de mai à juillet 1847 et leur donner l’occasion de découvrir les côtes maritimes du sud au nord de la Bretagne. Ils découvrent le pays à pied, à cheval ou encore grâce au train, transport moderne de l’époque. Le voyage en terres morbihannaises, lui, se déroule du 21 mai au 8 juin 1847. Il commence à La Roche-Bernard qui ne laisse pas aux deux compères un souvenir très engageant : « La ville n'est pas longue à voir ; elle n'a rien de curieux, ni de vieilles halles, ni églises, ni costumes, ni promenades, ni ruines, ni rochers, ni donzelles, et il faudrait la retrancher de la carte de France, si elle n'avait pas [l’auberge du] père Poulmann. »
Gustave Flaubert et Maxime Du Camp atteignent ensuite le golfe du Morbihan dont ils font le tour avec une halte à Vannes. La ville des Vénètes ne remporte pas de meilleurs suffrages : « Nous devions repasser par Vannes, aussi nous n'y restâmes que le temps nécessaire pour déjeuner, et nous repartîmes immédiatement. » Même son patrimoine historique ne vaut guère mieux, selon eux : « il n'est pas possible de voir des églises plus déplaisantes et plus sottes que celles de Vannes : une seule chose surpasse leur laideur, peut-être, c'est leur mauvais goût. »
En visitant Locmariaquer, Flaubert note que désormais on ne parle plus le français. Le voyage se prolonge jusqu’à Carnac où ils arrivent le 22 mai 1847. La patrie des mégalithes, se heurte cette fois-ci à la défiance de Flaubert. Ces vestiges du passé sont pour lui dénués de tout mysticisme. « Si l’on me demande, à mon tour, quelle est ma conjecture sur les pierres de Carnac - car tout le monde a la sienne - j’émettrai une opinion irréfutable, irréfragable, irrésistible, une opinion qui ferait reculer les tentes de Monsieur De la Sauvagère, et pâlir l’égyptien Penhoët, une opinion qui casserait le zodiaque de Cambry, et mettrait le serpent Python en tronçons, et cette opinion, la voici : les pierres de Carnac sont de grosses pierres. »
Autour de Saint-Pierre Quiberon, les deux amis profitent des joies du bord de mer et de la nourriture, homards et biftecks sont au menu. Mais arrivé à Quiberon c’est un tout autre spectacle qui marque l’esprit de l’écrivain : « Quiberon dont le passé se résume à un massacre » porte encore les stigmates d’un passé resté douloureux. Et son cimetière lui apparaît tel une « mer figée, encombrée de ses cadavres ».
Au bout de la presqu'île, l’occasion se présente de découvrir Belle-Île-en-Mer. Si Flaubert, poétiquement, décrit l’île « couchée sur les flots, comme un grand monstre de pourpre et d'azur », la première impression est désenchantée : « Était-ce la peine de s'être exposé au mal de mer (…) pour n'avoir à contempler que la citadelle dont nous nous soucions fort peu, le phare, dont nous nous inquiétions encore moins, ou le rempart de Vauban qui nous ennuyait déjà ; mais on nous avait parlé des rochers de Belle-Isle ». Cependant la nature sauvage et la découverte d’une grotte « merveilleuse » vont raviver leur intérêt pour l’île. « Nous ne vîmes qu'une grotte, une seule - le jour baissait - mais qui nous parut si belle (elle était tapissée de varechs et de coquilles et avait des gouttes d'eau qui tombaient d'en haut) que nous résolûmes de rester le lendemain à Belle-Isle, pour en chercher de pareilles s'il y en avait, et nous repaître à loisir les yeux du régal de toutes ces couleurs. »
De retour sur la terre ferme, la visite de Sainte-Anne d’Auray est un incontournable qui laisse les deux écrivains perplexes. L’église se pare d’un style décrit comme « pitoyable » et autour de celle-ci « vit et pullule un peuple de mendiants tyranniques qui tombent sur les voyageurs aussi dru que la misère sur les poètes. »
La dernière partie du voyage se déroule dans les terres et conduit les deux hommes de Lorient à Ploërmel en passant par Hennebont, Baud, Locminé et Josselin. Cette traversée de l’intérieur les amène à visiter Hennebont qui remporte tous les suffrages, à découvrir la Vénus de Quinipily « d’une sensualité à la fois toute barbare et raffinée » ou encore à apprécier la majesté du château de Josselin : « La forteresse, assise sur son rocher d'ardoise avec ses trois grosses tours, sa galerie à mâchicoulis, ses toits pointus et ses hautes fenêtres à pinacle, se présente magnifiquement, appuyée à deux bastions. »
Les deux amis repartent ensuite en direction de Quimperlé, dans le Finistère, après trois semaines d’escapade morbihannaise.
Du voyage à l’ouvrage
Dès le départ, ce voyage fait l’objet d’une mise en récit. Les deux écrivains se partageant le travail : à Gustave Flaubert les chapitres impairs, à Maxime Du Camp les pairs. À leur arrivée en Bretagne, ils décident de s’arrêter dans les villes présentant de bonnes auberges afin de s’y reposer tout en mettant au propre leurs notes. Mais la méthode leur prend trop de temps et ils conviennent qu’ils n’écriront ce récit de voyage qu’à leur retour chez eux. Seulement, de retour chez lui Flaubert peine à l’écriture : « Voilà trois mois et demi que j’écris sans discontinuer du matin jusqu’au soir ». Le style qu’il veut donner à ce récit lui pose problème. Il exècre le réalisme littéraire mais veut témoigner de son observation, celle de la beauté des paysages et du peuple breton en particulier, de ces hommes virils portant les cheveux longs. Flaubert éprouve de la sympathie pour un peuple qui porte selon lui la fierté de sa race.
Pourtant cet ouvrage achevé en 1848 ne sera jamais publié par Flaubert qui se consacre à d’autres projets. Il faut attendre 1886 pour qu’une première édition posthume de cet œuvre intitulée Par les champs et par les grèves voie le jour et rende compte de ce récit de voyage : le printemps 1847 en Morbihan.
Destination voyage aux Archives départementales
En 2011, les Archives départementales ont présenté l'exposition temporaire Récits de voyage. Le Morbihan, une destination exotique qui a mis en valeur les impressions littéraires de certains grands auteurs de la littérature française (Maupassant, Hugo…) et de leurs homologues étrangers au cours de voyages et excursions réalisés dans le Morbihan. On y découvre une formidable description de la vie en Morbihan du 17e au 20e siècle. Cette thématique reste toujours accessible à travers une animation virtuelle sur le site Internet des Archives départementales, une exposition itinérante empruntable gratuitement ainsi que de multiples supports pédagogiques, pour continuer à faire vivre le voyage auprès des petits et des grands. Et pour ceux qui souhaiteraient voyager en lecture, le catalogue de l'exposition est en vente auprès des Archives départementales.
Sources consultées
HB 376. - FLAUBERT, Gustave, DU CAMP, Maxime, Par les champs et par les grèves. Paris.1918
RB 4264. - CATTEAU, Stéphanie, LE MAUR, Sophie, Récits de voyage : le Morbihan, une destination exotique, catalogue de l'exposition présentée du 15 février au 28 octobre 2011 aux Archives départementales du Morbihan.
EB 678. - La poste d'Auray vue par Gustave Flaubert. In : Société d'histoire et d'archéologie du pays d'Auray. – (2003-12), p.[2], (2004-01), p.[4]
HB 11366. - BARBERIS, Dominique, Voyages / Gustave Flaubert. Paris. 2007
HB 11405. - BARDIOLA Frédéric, Voyage sur les côtes bretonnes : François-René de Chateaubriand, Eugène Sue, Jules Michelet, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Prosper Mérimée, Stendhal, Gustave Flaubert, Hippolyte Taine. 2010
IB 73. - LE GRAND, Alain Sur les pas de Flaubert, 1847 : le jeune paysan blond à Kerfeunteun, in: Les Cahiers de l'Iroise, n°3 (juil.-sept. 1987) ; pp. 156-158.
IB 80. - LE HERPEUX, Flaubert et son voyage en Bretagne, in : Annales de Bretagne. Tome 47, numéro 1, 1940. pp. 1-152.
KB 6343. - Belle-Isle / Gustave Flaubert. Spézet 2003
BONACCORSO, Giovanni, La Bretagne dans Un cœur simple, in : Les Amis de Flaubert, Année 1981, Bulletin n° 59 – Page 35. www.amis-flaubert-maupassant.fr/article-bulletins/059_035/
SICARD-COWAN, Hélène, Par les champs et par les grèves, ou la fantaisie bretonne de Gustave Flaubert, CEREDi (Centre d’Études et de Recherche Éditer/Interpréter) de l’université de Rouen. 2007. flaubert.univ-rouen.fr
LE HUENEN, Roland, Flaubert en Bretagne (Par les champs et par les grèves) : voyage et anti-voyage, le discours viatique comme laboratoire du roman, CRLV (Centre de recherche sur la littérature des voyages) de l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, 2005. www.crlv.org
Biographie de Gustave Flaubert et de Maxime Du Camp. www.fr.wikipedia.org