À l’été 1940, Hitler procède au blocus de la Grande-Bretagne, en lançant ses sous-marins à l’attaque des convois transportant armes et nourriture à destination de la population britannique. Le contre-amiral Dönitz, en visite à Lorient en juin 1940, perçoit les qualités stratégiques du site, qui permet aux U-Boote de gagner rapidement leurs lieux de chasse. En octobre, Dönitz, promu amiral, installe son poste de commandement à Larmor-Plage et décide la construction d’une base de sous-marins. Lorient va devenir une des cinq grandes bases de U-Boote installées en France (Brest, Saint-Nazaire, La Rochelle et Bordeaux).
Quatre blocs
Le premier bloc, appelé K1 (Keroman 1), composé d’un slipway couvert et de 5 alvéoles, est construit en 7 mois (achevé fin 1941). La construction du K2 (7 alvéoles) commence en mai 1941 et est achevée dès décembre. Le troisième bloc composé de deux bassins de radoub et de cinq bassins à flot, est livré en janvier 1943. La mise en service de sous-marins ultra-modernes - les U-boote type XXI - nécessite la création du K4. La base de Lorient est la seule capable d’accueillir ces bâtiments sur la façade Atlantique. L’ensemble des blocs permet de loger une trentaine de sous-marins. Les sous-marins de la Marine impériale japonaise, alliée de la Kriegsmarine, font également escale à trois reprises à la base de Lorient.
La construction de la base place la ville de Lorient comme une cible prioritaire des alliés. Les alentours des installations de Keroman sont massivement bombardés en 1943 par l’aviation qui, faute de pouvoir détruire la base, décide, afin d’empêcher son bon fonctionnement, d’anéantir la ville qui l’entoure. Lorient est évacuée de ses habitants et n’est plus qu’un champ de ruines. La base de sous-marins est intacte et poursuit son développement. La construction du quatrième bloc est cependant interrompue en juillet 1944 faute notamment de matériaux.
Une mobilisation économique
La grande rapidité des premières constructions, qui a permis d’échapper aux bombes ou aux sabotages des Alliés, est rendue possible par une mobilisation totale de la main-d’œuvre qualifiée disponible et des entreprises locales. Les lignes de trains du réseau breton sont complétées par de nombreuses petites lignes qui relient le chantier à de nombreux camps d’hébergements de travailleurs. Les plus importants sont le « camp Franco » à Hennebont (1 500 places) où arrivent de nombreux ouvriers avant d’être répartis sur des camps plus petits, et le site de la Soye à Lorient où 1 500 ouvriers sont hébergés dans des galeries en béton. Les nombreux bombardements alliés occasionnent peu de dégâts dans ces camps bien protégés.
Afin de s’assurer que la main-d’œuvre soit disponible, la Feldkommandantur fait stopper le 15 février 1941 34 chantiers de travaux publics employant 398 travailleurs afin de mettre ces derniers à disposition de l’Organisation Todt. Plus de 10 000 ouvriers seront nécessaires à la construction de la base dont de nombreux étrangers, notamment des Espagnols amenés par trains spéciaux depuis les camps de réfugiés du sud de la France. Le rapport mensuel du préfet du Morbihan du 3 novembre 1941 estime que près de 20 000 personnes travaillent pour l’Organisation Todt dont 12 000 étrangers.
Dans un premier temps, le Morbihan ne connaît donc pas de problème de chômage malgré l’afflux de réfugiés et les difficultés causées par la guerre (manque d’essence et de matières premières). L’hébergement gratuit et les bonnes conditions salariales offertes par l’Organisation Todt entraînent un afflux de volontaires, qui désorganise l’économie locale. Les industriels morbihannais doivent augmenter les salaires pour retenir leurs ouvriers ; les travaux agricoles manquent de bras comme l’écrit le maire de Languidic au préfet le 25 février 1941.
Cependant, les premiers raids anglais en mai 1941 mettent à mal le recrutement de la main-d’œuvre. 350 travailleurs désertent en 3 jours. Au fur et à mesure de l’intensification de ces bombardements et les succès alliés aidant, le chantier ne trouve plus beaucoup de volontaires. Il est de plus en plus mal vu de travailler pour l’occupant, qui va alors mettre en place le Service du Travail Obligatoire, mais la plupart des jeunes Morbihannais convoqués « trouvent un motif pour ne pas s’y rendre » comme l’indique le maire de Pontivy le 18 février 1943. Des remises de peines sont même accordées aux détenus qui s’engagent dans les chantiers Todt tels ceux de la colonie pénitentiaire de Belle-Île.
À la Libération, des poches de résistance allemande se forment sur la façade Atlantique autour, notamment des festung de Lorient et de Saint-Nazaire. Elles seront les dernières places françaises à être libérées du joug allemand.
Le 19 mai 1945, neuf jours après la reddition de la poche de Lorient, la Marine nationale française investit les lieux que les Allemands ont laissés en état de marche. La base sera utilisée pour les sous-marins français pendant 52 ans sans que l’architecture originelle soit modifiée. Après le départ de la Marine française, le site fait l'objet, pendant quelques années, d'une reconversion. Devenue depuis, un pôle économique, touristique et nautique, la base de Keroman reçoit, en 2000, le label Patrimoine du 20e siècle.
Des sources très discrètes aux archives départementales du Morbihan
Les archives concernant les bâtiments militaires du département ne sont pas versées aux archives départementales du Morbihan mais au service historique de la Défense (site de Lorient) pour la base de sous-marins.
Les sources administratives conservées aux archives départementales, provenant notamment des services de la préfecture, ne contiennent jamais les termes « base de sous-marins » mais évoquent les « travaux de fortification » de l’Organisation Todt, les « constructions de la marine allemande » ou les principales entreprises allemandes qui construisent la base, Holzmann et Siemens.
Les documents contiennent ainsi de nombreuses informations sur la mobilisation de la main-d’œuvre et plus généralement sur les conséquences économiques et sociales des nombreux chantiers du Mur de l’Atlantique. Le fonds du cabinet du préfet (2 W) conserve ainsi les rapports mensuels du préfet au délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés entre 1940-1942. Le fonds 19 W est consacré aux affaires militaires, notamment de la seconde guerre mondiale tandis que le 17 W possède les dossiers relatifs à l’utilisation de la main-d’œuvre durant ce conflit. Le 54 W et le 1828 W détiennent des informations sur le recrutement d’ouvriers par l’Organisation Todt. Enfin, une liasse (1526 W 212), dans les fonds des renseignements généraux du Morbihan, documente sur le STO.
Sur la période plus contemporaine, le site a fait l’objet de différents projets de réaménagement. Des dossiers émanant des services préfectoraux (2012 W) et du CAUE (1915 W) sur la reconversion sont conservés aux archives départementales.
Sources consultées :
- 2 W 15627. - Rapports mensuels du préfet au délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, 1940-1942.
- 12 W 23. - Préfecture, établissements pénitentiaires. Fonctionnement de la maison d’éducation surveillée de Belle-Île pendant l'Occupation, 1941-1943
- 17 W. - Préfecture, main-d’œuvre en temps de guerre, 1940-1944.
- 19 W. - Préfecture, affaires militaires, 1938-1967.
- 38 W. - Fonds du service du Ravitaillement (en cours de classement) : listes des commerçants et grossistes, listes des firmes allemandes et françaises situées en Bretagne travaillant pour le compte l'Organisation Todt.
- 54 W 44. - Préfecture, travail. Recrutement d'ouvriers pour le compte des autorités allemandes (organisation Todt), 1941.
- 937 W 102. - Sous-préfecture de Pontivy, main-d’œuvre et travail obligatoire. Organisation générale : correspondance, listes nominatives des appelés, notes, 1941-1946.
- 1828 W 66. - Office national des anciens combattants. Personnes requises par l'organisation Todt : listes alphabétiques, 1942-1943
- 1526 W 212. - Renseignements généraux. Travail obligatoire en France et en Allemagne, 1941-1944
- 1915 W 304. - C.A.U.E. Étude des possibilités de réutilisation de la base de sous-marins, 1992-1993
- 2012 W 202-206. - Cabinet du Préfet. Reconversion de la base de sous-marins de Lorient, 1991-2006
- 41 J 69. - Fonds du comité d’histoire de la seconde guerre mondiale. Témoignages de l’amiral Matthiae et du général Fahrmbacher (en allemand).
- PB 1611. - BOURGUET-MAURICE (Louis), GRAND COLAS (Josyane), Et la tanière devint le village. Histoire de la base de sous-marins de Lorient-Kéroman (1940-1997).
- TH 429. - PIRIOU (Erwan), De la défense de la base de sous-marins à la construction du mur de l'Atlantique : l'organisation Todt dans le Morbihan.
L'Organisation Todt
Créée en 1933, l’organisation Todt est un groupe de construction et d’ingénierie allemande dirigé par Fritz Todt (ministre de l’armement et de la production de guerre) jusqu’en 1942. Sa principale mission consiste dans la réalisation des grands travaux du IIIeReich et l’édification des structures défensives,15 000 ouvrages défensifs le long du littoral, de la mer du Nord à l’Atlantique -comme le mur de l’Atlantique ou la base de sous-marins de Lorient.
La direction administrative de l’organisation est installée à Lorient jusqu’en 1942. La ville est en outre le quartier général du secteur de construction qui s’étend de Quimper à La Roche-Bernard. Des bunkers s’élèvent sur l’ensemble de la côte morbihannaise, des batteries de marine (Gâvres,…) protègent les accès de la base de sous-marins, des casemates de tir, des postes d’observation bétonnés, des abris, des tétraèdres en béton, des champs de mines et de barbelés défendent les plages.
Le docteur Todt vient plusieurs fois dans la région lorientaise pour suivre l’avancée de la construction des ouvrages. Celle-ci est principalement confiée à des entreprises allemandes de travaux publics avec de la main-d’œuvre française et étrangère.
L’école de Pontivy
En novembre 1942, l’organisation Todt crée à Pontivy une école de cadres destinée à la formation d’inspecteurs français sociaux et politiques. Cette école s’installe dans les locaux de l’école primaire supérieure de jeunes filles. L’objectif théorique est de veiller à ce que les firmes respectent les lois sociales. Officieusement, il s’agit de renseigner les Allemands sur l’état d’esprit des ouvriers et d’intensifier la lutte contre les suspects communistes. La première promotion comprend soixante-quatre élèves. On y enseigne les lois sociales, les principes de discipline et le dévouement à l’État ainsi que les doctrines national‑socialiste et anticommuniste. Les exercices militaires y tiennent également une place importante. Le stage dure un mois. Le recrutement des élèves est assuré principalement par le Parti populaire français et la légion antibolchévique. Une fois reçus, les inspecteurs sont envoyés dans un camp de l’organisation Todt, où ils sont logés, nourris et perçoivent un salaire mensuel de 4 000 francs. En janvier 1943, après une inspection élogieuse, les Allemands décident d’augmenter le nombre d’élèves formés pour passer à 1 000 inspecteurs.
Base de sous-marins Ingénieur général Jacques Stosskopf
Le 6 juillet 1946, la base de sous-marins de Keroman reçoit le nom de Base de sous-marins Ingénieur général Jacques Stosskopf.
Brillant polytechnicien, ce résistant de la première heure est ingénieur en chef de première classe du génie maritime à l’arsenal de Lorient en 1939. Par ses origines alsaciennes, il parle couramment l’allemand et gagne ainsi la confiance de l’occupant. Dès l’arrivée des premiers sous-marins allemands, il ne cesse d’inspecter les quais de l’arsenal sous prétexte d’encadrer au plus près le travail de ses ouvriers.
Ses relations privilégiées avec l'état-major ennemi lui permettent d'être l'un des rares Français à pouvoir pénétrer dans la base. Recruté dans un premier temps par le service de renseignement de la Marine française, qui deviendra le Réseau Kléber, il intègre ensuite le réseau Alliance, relié à l’IntelligenceService britannique. Il fournit des informations sur la construction de la base de sous-marins et les mouvements des sous-marins allemands entre 1941 et 1944.
Il est arrêté par la Gestapo le 21 février 1944 dans le cadre d’une vaste opération qui démantèle le réseau Alliance en Bretagne. D’abord envoyé au camp de Schirmeck, il est transféré au camp de concentration de Natzwiller-Struthof en Alsace où il est exécuté le 1er septembre 1944.
Source : Service historique de la Défense - Archives de Lorient